#Mali : Désarmement, démobilisation et réinsertion : Un marché de dupes

Mesure centrale de l’Accord de paix signé en mai et juin 2015 entre le Gouvernement du Mali et les deux coalitions de mouvements signataires, le Désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) devait conduire à désarmer les groupes armés, en intégrant les ex-combattants dans les Forces de sécurité et de défense ou en facilitant leur retour à la vie civile

Publié mardi 26 décembre 2023 à 08:31
#Mali : Désarmement, démobilisation et réinsertion : Un marché de dupes

La cérémonie de lancement du DDR a eu lieu le 6 novembre 2018

 


 

Depuis son indépendance en 1960, le Mali connait des rebellions cycliques de groupes irrédentistes dans le Nord du pays. Pour résoudre ces différents conflits, une série d’accords ont été signés (Accord de Tamanrasset du 6 janvier 1991, le Pacte national du 11 avril 1992, l’Accord d’Alger du 4 juillet 2006, l’Accord de Ouagadougou qui a permis le retour à une vie constitutionnelle normal en 2013).

Et, après la crise de 2012, la communauté internationale, avec comme chef de file l’Algérie, s’est engagée auprès de Bamako dans une démarche qui a conduit le gouvernement du Mali et les groupes armés à signer, le 15 mai 2015 et à parachever le 20 juin 2015, à Bamako, l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale issu du processus d’Alger (APR).

Alors que le DDR, qui a pour objectif principal d’accueillir, de désarmer les ex-combattants, de collecter leurs armes et d’aider à leur réinsertion dans la vie civile, devait commencer 60 jours après la signature de l’Accord, soit en septembre 2015, c’est trois ans plus tard qu’il débute. Sa cérémonie de « lancement » a eu lieu le 6 novembre 2018. Celle-ci a, en outre, été mouvementée, puisque les ex-combattants ont retardé de plusieurs heures son démarrage effectif, exigeant des garanties supplémentaires.

Cet épisode a, une nouvelle fois, illustré les blocages répétés du processus de DDR au Mali, qui s’était engagé en fait sans échéancier clair sur les étapes à venir. Faisant un état des lieux sur le DDR au Mali, un texte de la Commission nationale de désarmement, démobilisation et réinsertion (CNDDR) avance les raisons des retards et de présente les obstacles.

La question du DDR avait, déjà, été abordée dès les Accords préliminaires de Ouagadougou de 2013, sans pour autant en définir les modalités. C’est l’Accord de paix d’Alger de 2015 qui présente des mesures en vue d’un réel désarmement et du redéploiement des Forces de défense et de sécurité (FDS) dans le Nord du Mali, offrant une liste et un calendrier de mesures.

Entre 2015 et 2018, quelques avancées ont été enregistrées dans la préparation des structures d’accompagnement et de mise en œuvre du DDR, tandis que des questions centrales ont été laissées de côté et que la situation sur le terrain a évolué, posant de nouveaux défis.

 

DDR ET PROCESSUS DE PAIX - Si les opérations de DDR n’ont commencé qu’en 2018, la CNDDR a été vite mise en place : nomination d’un coordonnateur national appuyé de vice-coordonnateurs issus des mouvements armés, mise en place des structures et bureaux régionaux, embauche et formation du personnel, élaboration de la stratégie. Huit sites de cantonnement ont été construits dans les Régions du Nord. Parallèlement, les partenaires financiers ont mobilisé US$ 21 millions à travers un Trust Fund, administré par la Minusma.

En parallèle, les « mesures de confiance » prévues par l’Accord, comme conditions préalables au DDR, sont négociées entre les parties avec l’appui de la Médiation et des forces internationales déployées au Mali dans le cadre du Comité de suivi de l’Accord (CSA), de la Commission technique de sécurité (CTS) et sur le terrain. La principale mesure de confiance est la mise en place de patrouilles mixtes entre groupes armés et Forces armées maliennes, sous commandement unifié du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC), dont la responsabilité est de restaurer la confiance entre les parties et de sécuriser les sites de cantonnement dédiés au DDR, et ce sans désarmement.


Après un accord entre les parties en juillet 2016 sur les modalités de mise en place et de déploiement du MOC dans les Régions de Gao, Kidal et Tombouctou (Nord), incluant en particulier les modalités d’un « DDR accéléré » pour les ex-combattants qui seront intégrés dans les bataillons du MOC, un premier MOC est établi en janvier 2017 à Gao. L’effectif prévu (600 hommes) est étoffé pour intégrer des membres des groupes non-signataires « coopératifs » en plus des groupes signataires et forces gouvernementales.

L’attentat du 18 janvier 2017 contre le camp du MOC de Gao a porté un sérieux coup à son déploiement et à son opérationnalisation, notamment en entraînant une reconsidération des mesures de sécurité nécessaires. Les MOC de Tombouctou et Kidal sont finalement établis en mai 2018, après maintes négociations. Ils restaient toutefois peu opérationnels et constituaient en fait une cible privilégiée des attaques.

L’accord sur les modalités de déploiement et d’opérationnalisation du MOC stipule que les groupes armés doivent contribuer en armes lourdes, mais ceux-ci s’y refusent ; la question de la prise en charge des ex-combattants (frais de subsistance, frais médicaux, uniformes, etc.) qui devait être résolue à travers le DDR accéléré et l’intégration accélérée dans les Forces armées maliennes (FAMa) des ex-combattants membres du MOC n’a pas fait de progrès entre juillet 2016 et mars 2018.

Un an et demi de retard pour le déploiement des MOC engendre d’autres délais et blocages : un nouvel appel aux bailleurs a dû être fait alors que les MOC sont entrés en grève en janvier 2018 devant la diminution de leurs allocations suite à l’épuisement des fonds.

 

RELANCE - Une Feuille de route, signée en mars 2018, après deux mois de négociations, entre le gouvernement, la CMA et la Plateforme, met en place un nouvel échéancier des actions liées au processus de paix, celles qui doivent être adoptées ou réalisées avant les élections présidentielles et celles qui seront mises en œuvre après les élections. Cette Feuille de route marque une relance du processus, tandis que les parties signataires préparent l’élection présidentielle et font face à de multiples pressions internationales (renouvellement du mandat de la MINUSMA, nomination d’un observateur indépendant, établissement d’un régime de sanction onusien, etc.)

La Feuille de route prévoyait le déploiement complet des MOC à Tombouctou et Kidal pour mars 2018, l’enregistrement des ex-combattants pour le DDR pour avril 2018, et le regroupement des ex-combattants pour le DDR accéléré pour août 2018. Aucune de ces dates n’a été respectée : le déploiement des MOC a été effectif en mai, l’enregistrement des ex-combattants en septembre et le regroupement des ex-combattants pour le DDR accéléré en novembre.

Dès mars 2018, la CNDDR multiplie les remises de registres aux groupes armés.


Face aux problèmes sur le terrain, les membres de la CNDDR, y compris son président d’alors, Zahabi Ould Sidi Mohamed, visitent les régions concernées pour faire lever les barrières et renforcer la confiance sur le terrain. À ce moment, aucun quota n’est déterminé pour les groupes armés, laissant un flou sur la capacité d’absorption pour l’intégration ou la démobilisation.

Alors qu’une étude de la Banque mondiale estimait qu’environ 10.000 combattants devraient être désarmés, le nombre de combattants enregistrés atteint 32.000. Cette inflation est en partie liée à la stratégie d’apaisement de la CNDDR. Des groupes non-signataires et au moins un groupe non-armé, la Force G, ont reçu des registres. La CNDDR n’avait donc pas tranché sur les qualifications nécessaires pour être reconnu comme combattant, acceptant l’inscription de combattants sans vérification des armes.

Le 6 novembre, le « DDR accéléré » est lancé qui vise la démobilisation des 1.500 ex-combattants du MOC, le profilage des candidats et l’enregistrement de leurs armes, avant leur intégration et mise à disposition du MOC, selon les modalités établies en juin 2016.

À la fin du DDR accéléré, les éléments resteront sous commandement conjoint du MOC, mais seront pris en charge aux mêmes conditions que les membres des FAMa. Le MOC n’a visiblement pas réussi à remplir une de ses vocations initiales : « sécuriser les sites de cantonnement du DDR ». À Gao, le DDR accéléré s’est achevé le 26 novembre avec 515 inscrits dont seulement 4 ex-combattants choisissant le retour à la vie civile. Le processus était toujours en cours à Tombouctou et Kidal à cette date. Alors qu’il n’y avait pas de date prévue pour entamer ce qui devrait être la prochaine étape, le rappel des « déserteurs » des FAMa. Il en est de même pour les candidats au DDR enregistrés.

À chaque étape du DDR, l’absence de confiance entre les parties entraîne des délais. Le gouvernement met la pression sur le DDR. De leur côté, les mouvements armés exigent davantage de garanties sur la décentralisation et le développement dans le Nord du Mali en retour de leur participation à l’avancement des mesures de confiance en matière de sécurité et de défense, utilisant le DDR comme levier de négociation et gardant les éléments les plus fidèles près d’eux.


La dégradation de la situation sur le terrain avec des combats sporadiques entre CMA et Plateforme a alimenté des lenteurs du processus et des réticences des groupes. Plusieurs retards sont dus à la renégociation constante du processus, notamment avec la multiplication des groupes armés. La présence au sein du DDR de groupes qui ne participent pas au CSA et qui ne se reconnaissent pas dans la Plateforme et dans la CMA crée un processus à deux vitesses, dans lequel le DDR devient une fin en soi, plutôt qu’un moyen pour arriver à une paix durable.


En mars 2018, sommés d’enregistrer leurs membres sous l’une des deux coalitions de mouvements signataires de l’Accord, ces groupes armés ont refusé cette affiliation forcée, laissant planer le doute sur la manière dont ils seront intégrés à un processus défini en fonction de la logique d’un conflit qui a évolué depuis lors, notamment sur la question des quotas qui seront attribués.

La multiplication des attaques terroristes contre des représentants de l’État malien et des forces internationales a créé aussi des délais importants. Les normes sécuritaires des sites de cantonnement construits sont devenues désuètes devant les nouvelles menaces, entraînant des coûts et des travaux supplémentaires. Toute la stratégie du DDR, incluant la sécurisation des sites de cantonnements par le MOC a donc dû être reconsidérée.

 

DÉFIS ET PROBLÈMES - Les vrais défis ont commencé, en fait, d’abord, quand il a fallu gérer les attentes de près de 32.000 personnes qui, parce que leur noms apparaissent dans un registre, se voient déjà incluses dans le processus. Si la question a été abordée par les différents partenaires, à l’époque (et même aujourd’hui) personne ne sait comment identifier les « vrais » combattants.


À Gao ou à Sévaré, plusieurs jeunes avaient déjà payé entre 5.000 à 50.000 Fcfa pour être intégrés à des groupes. Que leur inscription soit frauduleuse ou une tentative d’assurer leur avenir économique, le processus de sélection, avant même de rejoindre les activités de DDR, allait faire des insatisfaits, même si des critères de sélection ont été établis et rendus publics (appartenance à une unité combattante d’un mouvement signataire, expérience, âge limite des grades, ne pas être sous enquête judiciaire).

Ensuite, l’attribution des rangs et des avantages afférents, reste un des grands échecs des programmes de DDR de 1996 et 2006 au Mali. À cette époque, la désignation du rang des intégrés s’était faite sans transparence et de manière non inclusive. Par la suite, les intégrés ont dénoncé à plusieurs reprises une discrimination en termes de progression de carrière. Alléguant de frustrations liées au plan de carrière, d’être marginalisés, prétextant ce sentiment amer, plusieurs d’entre eux ont déserté lors des évènements de 2012. Ces déserteurs, qui ont combattu dans les rangs des groupes armés, réclament des arriérés de salaires, d’attribution de rang et de privilèges de retraite.

Aujourd’hui encore, les modalités d’attribution des rangs des nouveaux ex-combattants restent encore imprécises. Dans les registres, plusieurs ex-combattants ont déclaré un rang, sans que celui-ci soit confirmé par les groupes armés ou par une expérience de combat avérée – question qui a été litigieuse dans les MOC.

Un autre défi reste la capacité d’absorption des Forces de sécurité. Les FAMa avaient commencé un travail de réflexion, mais on ne savait toujours pas comment les autres corps (gendarmerie, protection civile eaux et forêts, douanes, etc.) pourront inclure des ex-combattants. L’absence de quotas définis rend la question encore plus complexe. Les intégrations ont un coût et il a été difficile, pour chacune de ces institutions, de s’y préparer sans avoir un chiffre. Mais, au-delà des questions budgétaires, il aurait fallu aussi que les différents corps de sécurité préparent une stratégie pour éviter les échecs des années 1990.

Le Pacte national de 1992, qui a mené à la Flamme de la Paix, avait misé sur des politiques où les intégrés sont restés dans des unités spéciales dédiées à la sécurisation dans le Nord du Mali, minant la cohésion des intégrés. Aujourd’hui, on peut s’interroger sur : l’accompagnement des démobilisés pour éviter l’expérience des années 1990, l’échec de leur réinsertion économique et la reprise des armes. Quid des tensions toujours plus vives quant à la réintégration des déserteurs?

Finalement, il aurait fallu des formations et partenariats pour renforcer les FDS maliennes, transcender la crise de confiance dans les rangs, liés aux échecs dans le Nord et aux conflits internes issus du coup d’État en 2012. Cela aurait été le prix du succès d’un DDR.

Moussa DIARRA

Moussa DIARRA

Lire aussi : Hadj 2023 : Les obligations des pèlerins

Concernant les aliments, les médicaments et les dispositifs médicaux…, les autorités saoudiennes clarifient les conditions que les visiteurs sont tenus de respecter.

Lire aussi : L'Union des agences de presse de la "coopération islamique" appelle à soutenir les médias palestiniens

Djeddah (UNA-AMAP) - L'Union des agences de presse de l'Organisation de la coopération islamique (UNA) a appelé, vendredi, les médias des pays islamiques à soutenir leurs confrères palestiniens dans leurs efforts pour dénoncer les violations de l'occupation israélienne..

Lire aussi : Open Society : Le vice-président prône un renouveau de la démocratie en Afrique

Le vice-président pour les Programmes de Open Society, Salil Shetty a estimé qu' « il est temps pour nous (Afrique) de repenser un nouveau type de démocratie dont nous avons besoin pour l'avenir. ».

Lire aussi : Sommet pour la démocratie : Le président zambien exhorte l’Afrique à des réformes démocratiques

Le président zambien, Hakainde Hichilema, a appelé, jeudi, à Lusaka, les Africains à des réformes au profit de la démocratie, lors de son discours liminaire au Sommet pour la démocratie qui se tient, du 30 au 31 mars, dans son pays..

Lire aussi : Sommet pour la démocratie à Lusaka : Comment l'Afrique peut-elle améliorer ses partenariats ?

La problématique du partenariat de l’Afrique n’est pas une question uniquement d'argent, de dons, de promesses et d'engagements de soutien de ce qui semble, parfois, être une relation donateur-bénéficiaire, ont estimé des panélistes d’un atelier ouvert, lundi, à Lusaka, en Zambie.

Lire aussi : Zambie : Le 2ème Sommet pour la démocratie s’ouvre le 29 mars prochain

Le deuxième Sommet pour la démocratie (S4D) se tiendra, du 29 au 31 mars 2023, simultanément, aux États-Unis, avec le Costa Rica, les Pays-Bas, la Corée du Sud et la Zambie comme co-organisateurs, annoncé Open Society Africa qui dirige la planification de la rencontre..

Les articles de l'auteur

Hadj 2023 : Les obligations des pèlerins

Concernant les aliments, les médicaments et les dispositifs médicaux…, les autorités saoudiennes clarifient les conditions que les visiteurs sont tenus de respecter.

Par Moussa DIARRA


Publié mardi 30 mai 2023 à 07:03

L'Union des agences de presse de la "coopération islamique" appelle à soutenir les médias palestiniens

Djeddah (UNA-AMAP) - L'Union des agences de presse de l'Organisation de la coopération islamique (UNA) a appelé, vendredi, les médias des pays islamiques à soutenir leurs confrères palestiniens dans leurs efforts pour dénoncer les violations de l'occupation israélienne..

Par Moussa DIARRA


Publié samedi 13 mai 2023 à 08:53

Open Society : Le vice-président prône un renouveau de la démocratie en Afrique

Le vice-président pour les Programmes de Open Society, Salil Shetty a estimé qu' « il est temps pour nous (Afrique) de repenser un nouveau type de démocratie dont nous avons besoin pour l'avenir. ».

Par Moussa DIARRA


Publié jeudi 06 avril 2023 à 08:14

Sommet pour la démocratie : Le président zambien exhorte l’Afrique à des réformes démocratiques

Le président zambien, Hakainde Hichilema, a appelé, jeudi, à Lusaka, les Africains à des réformes au profit de la démocratie, lors de son discours liminaire au Sommet pour la démocratie qui se tient, du 30 au 31 mars, dans son pays..

Par Moussa DIARRA


Publié jeudi 30 mars 2023 à 15:16

Sommet pour la démocratie à Lusaka : Comment l'Afrique peut-elle améliorer ses partenariats ?

La problématique du partenariat de l’Afrique n’est pas une question uniquement d'argent, de dons, de promesses et d'engagements de soutien de ce qui semble, parfois, être une relation donateur-bénéficiaire, ont estimé des panélistes d’un atelier ouvert, lundi, à Lusaka, en Zambie.

Par Moussa DIARRA


Publié mardi 28 mars 2023 à 10:52

Zambie : Le 2ème Sommet pour la démocratie s’ouvre le 29 mars prochain

Le deuxième Sommet pour la démocratie (S4D) se tiendra, du 29 au 31 mars 2023, simultanément, aux États-Unis, avec le Costa Rica, les Pays-Bas, la Corée du Sud et la Zambie comme co-organisateurs, annoncé Open Society Africa qui dirige la planification de la rencontre..

Par Moussa DIARRA


Publié dimanche 26 mars 2023 à 19:34

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner