
L’Agence de cession immobilière (ACI) a changé fondamentalement le visage de l’ancienne zone aéroportuaire. Principal centre d’affaires de la capitale abritant les sièges de plusieurs grandes entreprises, des restaurants et des supermarchés, il traîne des problèmes d’assainissement et de viabilisation qui ne sont pas dignes d’un endroit huppé
Les anciens occupants que nous avons interrogés, se disent
impressionnés par la mutation de l’ancienne zone aéroportuaire. C’est le cas
d’Oumou Traoré, médecin généraliste rencontrée à la devanture de sa maison sise
non loin de la place «Can». Elle y habite depuis 20 ans. Notre interlocutrice
trouve que l’ACI 2000 est devenu, au fil des ans, un endroit huppé avec des
gratte-ciels et autres œuvres architecturales abritant des grandes entreprises,
des supermarchés, des restaurants et pâtisseries et disposant de plusieurs
espaces de loisir.
Un boom architectural qui cache sans doute certaines tares
constatées dans l’évolution de cet endroit de la capitale. La quinquagénaire
Oumou Traoré déplore par exemple l’absence de marché dans le quartier. «Il nous
faut parcourir à pied chaque matin la route de Djicoroni-Para pour trouver un
marché et pouvoir acheter les condiments pour la cuisine. Raison pour laquelle,
souvent, j’achète beaucoup d’articles pour les mettre au frigo», confie-t-elle.
En revanche, se réjouit-elle, il y a beaucoup de supermarchés à l’ACI 2000,
dont la plus imposante est «Mille et Une merveilles».
Hassan Keita tient sa boutique depuis 2007 à l’ACI 2000, du
côté du cimetière de Lafiabougou. «Quand je suis venu m’installer, il y avait
juste quelques belles maisons en dur à côté des constructions en banco.
Maintenant, avec ces grands immeubles, on se croirait en Europe»,
s’exclame-t-il. Cependant, le boutiquier déplore de sérieuses lacunes d’équipements
de voirie, notamment en matière d’assainissement, car en saison des pluies,
plusieurs routes dans ce quartier chic deviennent impraticables pour les
usagers. «Faute de collecteurs, pendant la période de pluies, ma clientèle
diminue car il faut franchir les eaux usées pour venir à ma boutique. À cause
de cette situation, certains de mes clients préfèrent acheter ailleurs»,
explique-t-il.
Le sujet de l’assainissement et des nuisances revient
souvent dans les commentaires lorsqu’on parcourt la documentation sur l’ACI. Le
15 avril 2009, le journal : Le Scorpion titrait : Hamdallaye ACI
2000, une belle cité insalubre. Le journal dénonçait les pratiques illégales
nuisibles à l’environnement : feux d’ordures la nuit qui polluent l’air, déversement
de tas de sable ou débris de matériaux dans les caniveaux, en particulier au
niveau des immeubles en chantier. L’article de presse déplorait l’odeur nauséabonde
provenant des eaux stagnantes, la prolifération de mouches, moustiques,
cafards, crapauds. Un véritable taudis, selon nos confrères, où se côtoient
rongeurs nuisibles et immondices !
Ces nuisances n’empêchent pas le quartier d’être très attractif. Lorsque l’on consulte le site Bamako Immobilier, des terrains sont mis en vente partout, notamment à côté d’emplacements stratégiques: Orca, Avenue du Mali, Radisson ACI, ambassade des États-Unis, Bougie Ba, Fondation Blondin Bèye, Espace Bouna, etc. Les prix sont les suivants : 300 m2 cédés à 70, voire 80 millions de Fcfa, 450 m2 à 150 millions de Fcfa, 500 m2 entre 100 et 200 millions de Fcfa, 700 m2 à 300 millions de Fcfa, etc.
UN DÉVELOPPEMENT MIEUX RÉGULÉ- L’aménagement du quartier de
l’ACI 2000 s’inscrit dans une politique d’urbanisation au long terme. Rencontré
dans sa famille, Imrane Abdoulaye Touré est ancien directeur national de
l’urbanisme et secrétaire général du ministère de l’Urbanisme, de l’Habitat,
des Domaines, de l’Aménagement du territoire et de la Population jusqu’en
octobre 2021. L’homme est la mémoire vivante de l’urbanisation de Bamako depuis
les années 1990. Il rappelle que le développement urbain s’inscrit dans un
cadre réglementaire.
Selon lui, au Mali, la mise en place a été tardive. C’est
en 1979-81 qu’est élaboré et adopté le premier Schéma directeur d’aménagement
et d’urbanisme de Bamako, révisé ensuite en 1990 et en 1995. Cette dernière révision
a fait de l’ancien aérodrome de Bamako une zone de développement, dont la mise
en œuvre a été confiée à l’ACI (Agence de cessions immobilières), chargée de la
viabilisation et de la vente initiale aux enchères des terrains. En 1995-96, un
plan d’urbanisation sectorielle est défini, précise Imrane Abdoulaye Touré.
Pour l’expert, ces dispositions ont constitué un progrès, car à l’époque Bamako
comportait beaucoup de quartiers spontanés, nés de l’attribution de parcelles
par les chefs coutumiers. «La vente aux enchères instaurait aussi une certaine transparence.
Par la suite, la spéculation a décuplé le prix des terrains. Si à l’origine,
ceux-ci ont pu être vendus autour de 35.000 Fcfa/m2 (70.000 au maximum), ils
peuvent atteindre aujourd’hui 300.000 à 400.000 Fcfa/m2», détaille notre
interlocuteur. Précisant que la viabilisation de la zone a été correcte, Imrane
Abdoulaye Touré ajoute que les carences constatées ultérieurement dans la
gestion de l’assainissement sont dues à un chevauchement de responsabilités
entre l’ACI et les collectivités. Par exemple, le dépôt des ordures était prévu
pour chaque lotissement, mais les collectivités n’ont pas toujours respecté ces
dispositions, et il faut reconnaître, souligne notre interlocuteur, que dans ce
cas la décentralisation a accentué la dilution des responsabilités et le désordre.
«METTRE À JOUR ET APPLIQUER LES TEXTES»- D’une façon générale,
relève Imrane Abdoulaye Touré, le cadre règlementaire est suffisant. Par
ailleurs, il estime que la stratégie d’urbanisation a besoin de Schémas régulièrement
mis à jour (en principe tous les 5 ans). Or, il a fallu attendre 2005 pour voir
une proposition de nouveau schéma directeur, et celle-ci n’a pas été suivie
d’effet. «Même dans le cas actuel, on peut considérer que les textes existent,
mais qu’il y a un problème d’application, dans une situation où beaucoup d’intérêts
sont en jeu. Bref, il faut vraiment qu’on ait un document de planification
adapté au contexte actuel», propose-t-il.
Selon l’actuel directeur national de l’urbanisme et de
l’habitat, le bilan du plan d’urbanisme de l’ACI 2000 peut être considéré comme
positif, malgré quelques points d’ombre. Amadou Doumbia note que l’ACI a permis
une modernisation et une verticalisation des constructions en vue de la
densification urbaine.
Ce qui peut être considéré comme une rupture par rapport
aux pratiques de la IIè République : lotissements non viabilisés,
constructions en banco, prolifération des quartiers spontanés. Pour le patron
de l’urbanisme et de l’habitat, l’ACI a donné à la capitale malienne une
physionomie plus organisée en termes de distinction entre quartiers riches et
quartiers pauvres et avec la création d’un quartier d’affaires digne de ce nom
en plein cœur de la capitale malienne. À cet égard, notre interlocuteur
remarque également des aspects négatifs, notamment le changement de vocation de
certains espaces, suite aux différentes modifications du plan de lotissement de
la zone, ainsi que les problèmes d’inondations récurrentes (ACI 2000 et
quartiers limitrophes).
Pour avoir d’amples informations relatives aux différentes préoccupations, les efforts de notre équipe sont restés vains après plusieurs tentatives de rapprochement avec la direction de l’ACI.
Fadi CISSE
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