À
Bamako, les espaces publics se transforment de plus en plus en pépinières pour
les jardiniers et fleuristes. Ces derniers vendent sur ces espaces des fleurs
ou des pieds d’arbres servant à orner les maisons ou destinés aux plantations.
Si la présence de ces fleuristes et jardiniers arrange bon nombre de nos
concitoyens qui font des achats pour leurs besoins multiples, force est
d’admettre que certains se plaignent également de la prolifération de ces sites
qui peuvent être utilisés par des individus malintentionnés pour commettre des
forfaits.
Cela, à cause de la végétation au niveau de ces sites qui obstrue la
visibilité. Pourtant, l’installation de ces paysagistes est règlementée par des
textes sauf que la loi n’est pas respectée par les utilisateurs. Ou plutôt, est
ignorée par ces derniers et la clientèle. Moussa Daou, chef de poste de la
direction urbaine du bon ordre et de la protection de l’environnement (Dupope) à
la mairie de la Commune VI où le phénomène connaît de l’ampleur, explique les
conditions d’installation des jardiniers sur l’espace public.
L’agent municipal
indique que pour occuper un espace vert, le paysagiste doit adresser une
demande d’occupation au maire de la commune concernée. Après réception de la
demande, les services compétents de la mairie (Dupope), de l’urbanisme, de
l’assainissement et des eaux et forêts effectue une visite de terrain. Une fois
autorisé par le maire sur approbation des services techniques, le jardiner doit
s’acquitter des frais d’installation qui s’élèvent à 100.000 Fcfa par espace.
Et après installation, il doit payer régulièrement la taxe municipale de 18.000
Fcfa par an.
Selon le dernier recensement réalisé, il y a trois ans, il existe
une trentaine de pépiniéristes en Commune VI, dont près de la moitié occupe illégalement
les sites. Mais la mairie, en tant que service social, se montre très souvent
indulgente avec les fleuristes, explique Moussa Daou. Ajoutant qu’en plus de
leur contribution à l’embellissement de la ville, les pépiniéristes participent
également à l’hygiène et à la préservation de l’environnement contre certains
phénomènes comme la transformation des espaces vides en dépotoirs d’ordures ou
autre usage répréhensible. Selon notre interlocuteur, la mairie de la Commune
VI travaille en étroite collaboration avec la coopérative des horticulteurs.
DÉFENSE
DES INTÉRÊTS- Pour défendre leurs intérêts, les paysagistes se sont constitués
en regroupement dénommé Union des sociétés coopératives des horticulteurs et pépiniéristes
du District de Bamako (USCHPB). Créée en 2017, l’organisation compte environ
300 pépiniéristes repartis en coopératives entre les six Communes du District
de Bamako. Selon son président El Hadji Maïga, les fleuristes occupent les
domaines publics dédiés en espaces verts pour le besoin d’aération de la ville
de Bamako.
«Nous travaillons généralement sur la base de contrats avec les
mairies et la direction nationale des eaux et forêts pour aménager les
endroits et nous nous acquittons des taxes municipales», assure le fleuriste.
El Hadji Maïga trouve que les difficultés interviennent généralement lorsque
des opérateurs économiques passent par les autorités pour acheter ces espaces
et faire déguerpir les pépiniéristes qui opèrent sur les lieux depuis des années,
voire des décennies, déplore-t-il, en évoquant le cas d’une dizaine de
jardiniers de la Commune IV qui travaillaient sur des sites situés non loin du
Palais des sports Salamatou Maïga, à Djicoroni-Para et vers le Woyowayanko.
El
Hadji Maïga précise que ces fleuristes ont été déguerpis par voie d’huissiers
par les nouveaux acquéreurs qui se sont présentés avec des titres fonciers.
Face à cette situation, l’USCHPB a entamé des démarches auprès des autorités
concernées, notamment le gouverneur du District de Bamako, le ministre des
Domaines et des Affaires foncières, le Premier ministre, ainsi que la direction
générale de l’Agence de cessions immobilières (ACI). Cette dernière est disposée
à proposer une régularisation des déguerpis.
Le premier responsable de l’USCHPB
saisit l’occasion pour lancer un cri du cœur à toutes les bonnes volontés pour
aider les pépiniéristes de la capitale à mettre fin à ces déguerpissements qui
ont déjà mis plusieurs chefs de famille au chômage. El Hadj Maïga estime que
Bamako de façon générale et l’ACI 2000 en particulier, a aujourd’hui plus que
jamais besoin de ces espaces verts pour l’épanouissement des populations, notamment
la couche juvénile. Un avis que partage l’administrateur provisoire de l’ACI
Amadou Maïga qui a rencontré les responsables de la faîtière des paysagistes
concernant notamment l’aménagement de la Bande verte en espace vert.
Après avoir expliqué que certains espaces verts appartenant au domaine public de l’État ont fait l’objet de changement de vocation, à travers des ré-morcèlements suivis de ventes dans la zone ACI 2000 en 2015, Amadou Maïga révèle que la direction de l’ACI cherche des solutions pour reclasser les nouveaux acquéreurs des espaces concernés, afin de permettre aux pépiniéristes de continuer à aménager ces endroits qui constituent des équipements de confort pour le quartier. Toute chose qui, souligne-t-il, confère à l’ACI toute la justification de son label. Cependant, le responsable de l’Agence indique ne pas avoir connaissance de cas de déguerpissements récents de fleuristes dans la zone ACI 2000.
UN
MÉTIER QUI NOURRIT SON HOMME- Les pépinières géantes sont reconnaissables de
loin par leur végétation développée et on en trouve presque sur tous les grands
axes de Bamako. Des abords de la route menant à l’Aéroport international président
Modibo Keïta-Sénou, en passant par les alentours des échangeurs des ponts des
Martyrs et du Roi Fahd, jusqu’au rond-point Kwame Nkrumah en face du cimetière
d’Hamdallaye, le constat est le même, il y a de véritables forêts en miniature
partout. On y trouve des fleurs et des arbres d’une variété impressionnante.
Sur les sites en face de la Pyramide du Souvenir et de la Maison des jeunes de
Bamako, sont installés plusieurs groupes de paysagistes. Vieux Traoré partage
un espace d’environ un demi hectare avec cinq autres jardiniers. Sur place, ces
derniers ensemencent les graines de plantes. Ils apportent les soins nécessaires
à leur plein épanouissement et connaissent les espèces végétales. Le travail
des pépiniéristes consiste également à nourrir les plantes en les irrigant, en
mettant parfois des engrais et en les protégeant contre les maladies et les mauvaises
herbes.
Ce
natif de Kolokani, qui a appris le jardinage sur le tas, vit de ce métier
depuis une vingtaine d’années. Selon lui, le jardin qu’il occupe existe depuis
plusieurs années, «bien avant la construction de la Pyramide du souvenir et de
l’échangeur du pont des Martyrs», rappelle-t-il. Chez Vieux Traoré, on trouve
des arbres fruitiers (manguiers, orangers et des variétés de citronniers, de
mandariniers, de Tangelo, de pamplemousse…) et aussi des arbres non fruitiers,
notamment les espèces forestières (Karité, Néré, Baobab, Zaban, eucalyptus…).
Ces espèces sont vendues entre 500 à 1.000
Fcfa le pied. Ousmane Diarra, un autre occupant du site, affirme que pendant
l’hivernage, les affaires sont florissantes. Selon lui, les arbres les plus
sollicités sont les manguiers et les orangers. «Nous pouvons vendre
plusieurs dizaines de pieds d’arbres par jour», témoigne le jardinier. Si le
pied d’oranger est cédé, selon le genre, entre 750 et 5.000 Fcfa, les manguiers
oscillent entre 500 et 25.000 Fcfa. À ces arbres, s’ajoute le cocotier géant
dont le tronc se vent jusqu’à 50.000 Fcfa. En plus de la vente sur place, les pépiniéristes
sont également sollicités par certains clients pour les travaux de greffes
d’arbres à domicile et dans les champs.
Les
occupants de ces deux sites affirment ne rien payer aux autorités municipales
depuis un certain moment et qu’ils font l’objet de menace de déguerpissement
par la mairie. C’est tout le contraire pour Bakary Fomba dont le jardin
est situé derrière le Palais de la culture Amadou Hampâté Ba, à la descente du
pont des Martyrs. Le pépiniériste s’y est installé en 2010 et paie une taxe
municipale annuelle de 18.000 Fcfa. «Je paie régulièrement mes impôts et je
dispose d’un numéro d’identification fiscale» (NIF), souligne le paysagiste qui
est membre de la Coopérative des horticulteurs de la Commune V. Selon lui, l’espace vide situé en face du
Palais de la culture Amadou Hampâté Ba appartient à un riche opérateur économique
de la place qui a fait déguerpir le jardinier, feu Oumar N’Diaye. La décision a
provoqué la colère de la jeunesse de Badalabougou qui, depuis s’oppose à la
construction de tout ouvrage sur ledit site.
Sur
la rive droite du fleuve Niger en Commune VI, le constat est similaire. Du
carrefour de l’auto-gare de Sogoniko jusqu’aux abords de la Tour d’Afrique sur
l’avenue OUA, on trouve plusieurs jardiniers installés entre la chaussée et le
grand collecteur. Mais contrairement aux occupants des bordures de la Maison
des jeunes de Bamako, les fleuristes de Faladiè n’obstruent pas la visibilité
des usagers de la voie publique. Ingénieur agronome diplômé de l’Institut
polytechnique rural de formation et de recherche appliquée (IPR/IFRA) de
Katibougou Oumar Coulibaly, la cinquantaine révolue est le gérant du Groupement
d’intérêt économique (GIE) la Verdure.
Le paysagiste est aussi promoteur de plusieurs espaces verts dont celui situé sous la passerelle piétons de l’auto-gare de Sogoniko et qui s’étend sur plusieurs mètres. Horticulteur par vocation, il fait chaque année une contribution de 1.000 plantes lors de chaque campagne nationale de reboisement, en partenariat avec la direction régionale des eaux et forêts de Bamako. Cet engagement en faveur de la protection de l’environnement vaudra à Oumar Coulibaly d’être décoré de la médaille du Mérite agricole lors des festivités du Cinquantenaire de l’indépendance de notre pays en 2010. Marié et père de 7 enfants, ce paysagiste vit de ce métier depuis 20 ans. Il invite les autorités à protéger davantage les espaces verts du domaine public contre les prédateurs fonciers qui rôdent autour.
Aboubacar TRAORE
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