Il permet de retracer les différentes étapes de la vie d’un individu, mais aussi d’une famille
Les téléphones portables et autres ordinateurs
offrent la possibilité de disposer d’une galerie virtuelle pour sauvegarder des
images et autres fichiers en souvenir. Cet état de fait a engendré une perte de
vitesse des albums photos. Pourtant, certains spécialistes de la photographie
analogique s’accordent à dire qu’un album photos peut être gardé jusqu’à 100
ans.
L’apparition des albums photos remonte, selon
certaines sources, à l’arrivée des premiers Missionnaires en Afrique de
l’Ouest. C’était une fierté pour tout un chacun d’avoir un album photos en
cette époque. Mais c’était surtout considéré comme un signe de bourgeoisie. Ce
classeur de poses en souvenir des moments de joie voire de tristesse est un
témoin de l’évolution de notre société et un patrimoine inestimable.
La romancière française Anne-Marie Garat explique mieux le sens de l’album photos dans un passage de son livre intitulé : «Photos de familles». Pour elle, c’est à la fois mémorable et historique. «La photo de famille obéit à la mémoire de soi et des siens, interroge l’autobiographie. Elle convoque l’origine, la filiation, l’appartenance et l’identité et établit un des liens les plus intenses avec l’histoire privée et l’histoire collective, d’où son rôle social».
Selon plusieurs documents, un album photo est
un outil permettant aux sociologues de faire un diagnostic de l’évolution de la
mode, des sociétés. C’est un indicateur qui permet d’apprécier les différentes
mutations d’une société.
Si la population des années 50 a souhaité
garder leurs photos de familles et de souvenir dans les albums, le
développement des Nouvelles technologies de l’information et de la
communication (NTIC) a permis à la nouvelle génération d’opter pour les
supports numériques. C’est ce qui explique l’utilisation des supports comme les
téléphones mobiles, les clés USB et autres disques durs pour archiver des
photos en souvenir des évènements vécus par les uns et les autres soit
individuellement, soit collectivement.
Pour Fatoumata Traoré, monitrice dans un jardin
d’enfants, il est plus facile de circuler avec les images en version
numérique. «Je n’ai pas besoin d’aller à la maison chercher des photos de
mes parents, de ma famille ou de ma promotion de la 9è année pour les montrer
aux gens. Un clic sur la galerie photos de mon téléphone me permet de visionner
les images», a expliqué la monitrice de jardin d’enfants. Un jeune policier en
faction accepte de verser son avis dans le débat. «Peu importe le support d’un
album de photos, l’essentiel est de retracer les instants importants de la
vie», soulignera-t-il.
Tangara, enseignant à la retraite, trouve qu’un
album photos est un témoin scrupuleux qui note les changements socioéconomiques
et culturels d’une famille et même d’une communauté. Mais il s’interroge :
l’évolution des NTIC pourrait-elle détourner définitivement les amateurs des
supports physiques, notamment des albums de familles vers une transition
numérique ?
Diby Dembélé, photographe et promoteur du
Centre de formation en photographie (CFP de Missabougou), met un accent
particulier sur l’importance d’un album photographique dans une famille. Pour
ce praticien de l’art de Niepce et Nicéphore, un album est un assemblage
d’images qui permet à une famille, à un groupe de génération ou même une
administration de fixer pour l’éternité les instants vécus et de s’en servir
comme des témoins.
Selon lui, l’album photographie est un patrimoine
inestimable qui permet de retracer les différentes étapes de la vie d’un
individu, mais aussi d’une famille. Il exprime ses inquiétudes par rapport à
l’abandon des albums physiques au profit des galeries numériques dont les
conditions de conservation ne sont pas encore maîtrisées de façon évidente par
la population.
GRANDE NOTORIETÉ- La particularité d’un album
est la sensation et la composition des images par ordre d’importance ou
chronologique. Ce qui était fait avant par le photographe, qui était tout. Il
faisait la prise de vue, le tirage et la composition de l’album. Ce qui a même
donné une grande notoriété à certains pionniers de la profession, notamment les
photographes, feux Malick Sidibé, Abderahamae Sakali et Seydou Keïta. Ceux-ci
ont donné à la photographie dans notre pays ses lettres de noblesse. Et
d’inviter les jeunes a continuer de conserver et constituer leurs albums pour
retracer les grands moments de leur vie comme la soutenance, l’anniversaire, le
baptême, le mariage et autres jours des fêtes.
Mme Konaré Sélimata Traoré explique aussi la
sensation ressentie en face d’un album. «Je possède l’album de mon mariage que
je regarde souvent avec des parents ou amis qui ont raté cette belle journée
inoubliable de ma vie», dit la nouvelle mariée. Mon album est donc un témoin
qui m’aide à reconstruire cette journée inoubliable. Et aussi une preuve
d’amour d’un époux envers sa femme et inversement.
Mme
Koumaré Bintou Bouaré de dire que l’album photos était d’abord un signe de
noblesse dans le temps. Ce trésor était dans les années 50 réservé à ceux qui
avaient les moyens ou quelques intellectuels proches ou au service du
colonisateur. C’est aussi un témoin des grands événements dans la famille comme
les baptêmes, mariages ou anniversaires. «Après 58 années de mariage, je garde
toujours mon album bien que les images sont en noir et blanc», déclare-t-elle.
Mes photos de mariage sont empilées dans un album en souvenir de mon union avec
mon époux et aussi pour raconter un pan de mon passé.
Moussa Kanouté, âgé de 67 ans, affirme que rien
ne peut remplacer un album. «Je garde toujours mes albums depuis mon jeune âge
et je les revisite de temps en temps pour me faire une idée de ce qu’a été ma
jeunesse, mais aussi me souvenir des amis et parents qui ne sont plus de ce
monde», a explique cet interlocuteur. C’est le seul moyen de conserver pendant
plusieurs décennies les différentes générations d’une famille en passant par les
grands-parents jusqu’au petits-fils. Au-delà de son caractère social, un album
est aussi un témoin du temps qui permet à un homme de se situer dans le travail
à travers les modes ou accoutrements des personnes photographiées.
À travers les images, on peut déterminer la
période et même le temps d’une mode comme la coiffure «Afro» ou «Pattes
éléphant», explique Oumou Diabaté, monitrice qui a fait valoir ses droits à la
retraite à Kita. Elle garde toujours son album de mariage ainsi que les images
de certains événements depuis près de 50 ans. «Parfois, je le regarde avec mes
enfants et petits-enfants sans complexe et je leur expliquer le contexte de
chaque image et les liens entre les personnes qui y figurent», explique-t-elle.
L’ancien chargé de cours du patrimoine culturel
à l’Institut national des arts, Cheik Oumar Maïga, explique l’importance et le
rôle de l’album photos dans la cohésion sociale. Pour cet enseignant à la
retraite, l’album est un objet impératif dans la vie de chaque couple, chaque
famille. Selon lui, c’est un élément du patrimoine culturel qui permet à une
famille ou communauté de reconstituer sa lignée généalogique. L’ancien
technicien de la direction nationale du patrimoine explique que l’album
photographie est un document de témoignage historique. Les images rassemblées
dans le document peuvent permettre à l’historien ou ethnographe chercheur de
remonter les faits, reconstituer certains phénomènes sociaux. En plus, il joue
un rôle fédérateur et de socialisation au sein d’une famille.
Malgré l’évolution des nouvelles technologies, l’album photographique demeure un patrimoine inestimable pour la reconstitution des archives. Bien qu’il soit un peu dans l’oubli avec l’avènement de la téléphonie mobile et des ordinateurs qui offrent des galeries virtuelles, l’album photographique restera toujours dans les armoires. Par contre, les religieux voient la question d’un autre œil.
L’iman d’une moquée de la capitale estime que «nous devons préserver notre intimité». Pour lui, les photos exposent le corps et cela n’est pas toléré par la religion, notamment l’islam.
Amadou SOW
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