Uniforme des femmes et mariage : Une convenance devenue excessive

La coutume prisée des Bamakoises, celle de s’habiller d’une tenue unique lors des cérémonies de mariage, est en train de prendre un autre virage, causant angoisse chez les adeptes et devenant source de tension dans certains foyers

Publié jeudi 27 février 2025 à 08:04
Uniforme des femmes et mariage : Une convenance  devenue excessive

Les mains sous le menton, des yeux embués, isolée dans un coin de son salon, très froissée mais élégamment habillée dans sa grande robe en basin, Bintou est pensive et préoccupée. Bintou, nom d’emprunt que nous lui donnons, est l’épouse d’un ami que nous avons surprise dans un état d’affliction, chez elle au quartier Badialan, Commune III du District de Bamako. Ce dimanche soir, aux environs de 20 heures, très triste, Bintou cherche ses mots, la gorge nouée et à peine elle arrive à les prononcer après notre salutation faite à plusieurs reprises.

«Je reviens du mariage d’une nièce qui se tenait au quartier Marseille, situé en Commune I du District de Bamako, où j’ai dépensé mes économies réservées pour l’opération de l’œil de la maman…», tente-t-elle d’évacuer sans rancœur. Rien que ce qu’elle porte lui a coûté plus de 60 000 Fcfa. Notre interlocutrice, sous le choc, met en cause l’attitude de sa mère dans ce qu’elle appelle «du gaspillage inutile». «Le comble, vous savez ? C’est ma mère qui m’a contrainte à acheter cet uniforme que je porte pour une valeur de plus de 60 000 Fcfa malgré les dépenses nécessaires que j’ai à faire, dans quelques jours, pour l’opérer de la cataracte…», dit Bintou, la trentenaire évolue, tout en remuant sa tête.

En effet, selon ses explications, elle a été obligée par sa mère d’acheter cette tenue proposée comme uniforme par ses cousines. «Pour elle (sa maman), je ne devrais pas être en reste, je devais rivaliser avec mes cousines, étant donné que je suis une fonctionnaire. Alors que personnellement, j’aime faire les choses humblement, sans extravagance…», raconte-t-elle. Tout comme le cas de Bintou, le concept des uniformes des femmes lors des cérémonies de mariage dans la capitale malienne est en passe de devenir un fardeau pour les femmes. 

À Bamako, cette coutume longtemps symbolique lors des mariages voit ses contours évoluer. Les femmes et jeunes filles se parent d’un uniforme lors de ces cérémonies, un geste censé célébrer l’union de deux personnes tout en renforçant la cohésion sociale. Pourtant, initialement, l’uniforme visait à favoriser l’harmonie visuelle et à éviter toute distinction entre les participantes.

Cependant, aujourd’hui, cette tradition est en train de se transformer en une quasi-obligation, sous la pression sociale, mettant en lumière les disparités économiques. De simple plaisir esthétique, l’uniforme est devenu une norme difficile à contourner, même pour celles dont les moyens financiers sont limités. Ce qui, parfois, crée des mésententes dans le foyer, car certaines imposent à leur époux l’achat de ces tenues, même s’ils n’en ont pas les moyens.

Fanta Coulibaly, une mère de famille à Badalabougou, en commune V du District de Bamako, semble être de ce groupe de femmes. «Acheter l’uniforme doit être un devoir pour tout chef de famille, parce que la femme a besoin d’être bien habillée lors des cérémonies de mariage. Mais, certains hommes ne comprennent pas cela. C’est pourquoi ils refusent de payer l’uniforme pour leur épouse», argumente-t-elle. Pour elle, c’est l’homme qui doit obligatoirement payer ces tenues de mariage de sa femme.

QUIPROQUO- Contrairement à notre précédente interlocutrice, Djeneba Sinayoko, une femme mariée, la quarantaine, résidant à Dialakorobougou, dans la zone de Baguineda, sur la route de Ségou, pense que des femmes, de nos jours, sont dans l’excès au sujet de l’uniforme. Elle estime que la pratique n’est pas la seule façon d’apporter son soutien, lors du mariage d’un proche, «il y a aussi les aides financières qui sont plus importantes dans le mariage de célébration».

«Aujourd’hui, mes sœurs pensent que la pérennisation d’une union est forcément liée à la façon de célébrer le mariage. Un seul uniforme peut coûter plus 15.000 Fcfa. C’est qui est trop chère !», s’exclame-t-elle. Djeneba Sinayoko explique que «c’est pourquoi, les femmes usent de tous les moyens pour payer des tenues de mariage hors de prix». Plus explicite, tout en s’opposant à la mode, elle ajoute : «Certaines dames manquent de respect à leur mari sous prétexte que celui-ci n’a pas payé l’uniforme. Cela doit prendre fin.»

L’habitante de Dialakorobougou raconte une anecdote entre une épouse et son mari, dans son quartier. Le couple se bagarre toujours pour des questions d’uniforme. «Je connais une femme qui refuse le lit conjugal à son époux pour la simple raison qu’elle n’a pas eu d’uniforme de mariage. À chaque mariage, ce sont les disputes dans ce foyer. Et tout le quartier est au courant», narre notre interlocutrice. Si payer l’uniforme pour le mariage d’une proche est un signe de solidarité, c’est encore mieux d’emprunter de bons chemins pour l’obtenir. Selon Daouda Fané, un chef de famille, certaines femmes sont capables de détourner l’argent de «popote» pour acheter ces habits de mariage.


 Le concept est en passe de devenir un fardeau pour les femmes


 «Auparavant, nos aïeux avaient initié cette stratégie d’uniforme afin que tout le monde porte les mêmes habits mais à un prix raisonnable. Mais aujourd’hui, c’est tout à fait le contraire. Des femmes font l’impossible pour avoir leur uniforme», déplore ce chef de famille d’une cinquantaine d’années. 
Sept sur dix hommes interrogés suggèrent que la coutume de l’uniforme des femmes doit être rationnalisée. Ceux-ci estiment que ce sont des dépenses «inutiles» qui viennent s’ajouter à d’autres problèmes financiers dans un pays où la pauvreté est générale. «Les dimanches sont connus à Bamako comme les jours de mariage. Ce qui est déjà une dépense inestimable. S’il faut ajouter à cela les frais d’uniforme des femmes, cela devient encore plus compliqué», fait remarquer, sous couvert de l’anonymat, un chef de famille. Il ajoute que les tenues choisies pour les noces sont souvent très chères. «Donc, je trouve que ce n’est pas raisonnable de maintenir cette pratique de l’uniforme lors de nos mariages», pense-t-il.


 Adama Coulibaly, habitant à Tiéguena, localité située dans la périphérie de Bamako, dans la Commune de Baguinéda, sur la route de Ségou, souhaite une sensibilisation afin de conscientiser les femmes. «Ce n’est pas important. Les femmes rivalisent dans la futilité… alors que ce n’était pas le cas auparavant. C’est ce qui est la cause actuellement des disputes dans les foyers. Il faut une sensibilisation des femmes», insiste-t-il.

Le sociologue Modibo Sawadogo rappelle que l’uniforme a été introduit pour simplifier les événements sociaux.

«Lors de ces événements, les femmes, qu’elles soient pauvres ou riches, portaient la même chose. Et de nos jours, nous assistons à un déplacement de contexte. L’uniforme était un facteur d’intégration sociale. Cela permettait d’éviter la différenciation sociale», explique le sociologue. Il regrette que l’uniforme des femmes soit devenu, au contraire, un facteur d’exclusion sociale avec l’introduction de l’aspect commercial. Cette  pratique, voire une convenance, au lieu de simplifier la vie, impose des excès. «Les uniformes deviennent de plus en plus coûteux et c’est devenu un facteur de démarcation sociale. Pour les événements sociaux des riches, les pauvres n’ont pas le moyen d’avoir des uniformes», conclu-t-il.

Moussa M. DEMBÉLÉ

Rédaction Lessor

Lire aussi : Discours haineux : un nouveau comité annoncé pour protéger les leaders religieux

Le Premier ministre, le Général de division Abdoulaye Maïga, a rencontré ce jeudi 4 décembre, à la Primature, les leaders religieux du pays afin de leur annoncer la mise en place prochaine d’un comité chargé de trouver des solutions aux propos haineux visant la religion et les guides relig.

Lire aussi : Cacao : l’ICCO revoit à la baisse le surplus de production pour la campagne 2024/2025

Après plus de trois années de déficit, le marché mondial du cacao semble amorcer un retournement au terme de la campagne 2024/2025. Les dernières estimations publiées par l’Organisation internationale du cacao (ICCO) confirment en effet un passage vers un léger excédent durant cette campag.

Lire aussi : Environnement : 143.433 foyers de feux de brousse au Mali entre 2016 et 2023

Ces feux de brousse ont dévasté près de 36 millions d’hectares, soit l’équivalent de plus d’un quart du territoire national. Dans une analyse, le spécialiste en géographie de l’environnement, Dr Adama Sissoko, dresse un état des lieux alarmant.

Lire aussi : Solidarité et lutte contre l’exclusion à Ségou : Bilan satisfaisant

Le préfet du Cercle de Ségou, Daouda Diarra, a présidé, mercredi dernier dans ses locaux, la cérémonie de clôture officielle des activités du Mois de la solidarité et de la lutte contre l’exclusion (MSLE). C’était en présence du maire de la Commune urbaine de Ségou, Nouhoun Diarra, .

Lire aussi : Chavirement d’une pirogue surchargée à Galoukoné : les eaux emportent 6 élèves

Dans le Cercle de Bafoulabé, la tragédie survenue, vendredi dernier, à Galoukoné à une vingtaine de kilomètres de son chef-lieu de commune (Mahina), a pris aux tripes parce que rarement un drame d’une telle ampleur n’aura secoué les habitants de la ville. La quiétude de la ville a été .

Lire aussi : Lancement du DDR-I à Mopti : 472 ex-combattants engagés dans une nouvelle voie

Le processus Démobilisation, Désarmement, Réinsertion et Intégration (DDR-I) a officiellement démarré, le samedi 29 novembre 2, dans la Région de Mopti. C’est au camp de jeunesse de Soufouroulaye, en présence des autorités administratives et militaires, que ce tournant majeur pour la stab.

Les articles de l'auteur

Cacao : l’ICCO revoit à la baisse le surplus de production pour la campagne 2024/2025

Après plus de trois années de déficit, le marché mondial du cacao semble amorcer un retournement au terme de la campagne 2024/2025. Les dernières estimations publiées par l’Organisation internationale du cacao (ICCO) confirment en effet un passage vers un léger excédent durant cette campagne..

Par Rédaction Lessor


Publié jeudi 04 décembre 2025 à 13:36

Kéniéba : La récompense des élèves méritants

L’Académie d’enseignement de Kéniéba a organisé, le week-end dernier, la 1ère édition de la «Journée de reconnaissance et du mérite scolaire».

Par Rédaction Lessor


Publié jeudi 04 décembre 2025 à 13:27

Chavirement d’une pirogue surchargée à Galoukoné : les eaux emportent 6 élèves

Dans le Cercle de Bafoulabé, la tragédie survenue, vendredi dernier, à Galoukoné à une vingtaine de kilomètres de son chef-lieu de commune (Mahina), a pris aux tripes parce que rarement un drame d’une telle ampleur n’aura secoué les habitants de la ville. La quiétude de la ville a été brutalement interrompue par un drame déchirant sur le fleuve «Bakoye»..

Par Rédaction Lessor


Publié jeudi 04 décembre 2025 à 13:09

Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien : Le ministre Mahamadou Koné en communion avec les organisateurs

Notre pays a célébré, le lundi 1er décembre, la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien dans un hôtel de Bamako. Un événement célébré chaque année le 29 novembre..

Par Rédaction Lessor


Publié jeudi 04 décembre 2025 à 10:43

Lancement du DDR-I à Mopti : 472 ex-combattants engagés dans une nouvelle voie

Le processus Démobilisation, Désarmement, Réinsertion et Intégration (DDR-I) a officiellement démarré, le samedi 29 novembre 2, dans la Région de Mopti. C’est au camp de jeunesse de Soufouroulaye, en présence des autorités administratives et militaires, que ce tournant majeur pour la stabilisation du Centre a été lancé..

Par Rédaction Lessor


Publié jeudi 04 décembre 2025 à 10:31

Communiqué du conseil des ministres du mercredi 3 décembre 2025

Le Conseil des Ministres s’est réuni en session ordinaire, le mercredi 3 décembre 2025, dans sa salle de délibérations au Palais de Koulouba, sous la présidence du Général d’Armée Assimi GOITA, Président de la Transition, Chef de l’Etat..

Par Rédaction Lessor


Publié jeudi 04 décembre 2025 à 10:24

81è anniversaire du massacre des tirailleurs africains : Le Mali représenté par le Ministre Ismaël Wagué

Le Sénégal a commémoré, le lundi 1ᵉʳ décembre, le 81è anniversaire du massacre des tirailleurs africains à Thiaroye au Sénégal, un épisode tragique, qui demeure l’une des pages les plus sombres de l’histoire africaine. La cérémonie officielle, empreinte d’émotion et de solennité, a réuni de hautes personnalités venues honorer la mémoire de ces soldats injustement tombés..

Par Rédaction Lessor


Publié mercredi 03 décembre 2025 à 09:02

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner