Bonne distribution de la justice : Le procureur Idrissa Hamidou Touré à coeur ouvert

Dans cette interview, le procureur de la République près le Tribunal de grande instance de la Commune IV du District de Bamako aborde la problématique de la lenteur de la justice. Il explique les causes de cette situation préjudiciable à la bonne distribution de la justice

Publié mercredi 05 octobre 2022 à 05:04
Bonne distribution de la justice : Le procureur Idrissa Hamidou Touré à coeur ouvert

L’Essor : Qu'est ce que la lenteur judiciaire ? Et comment se manifeste-t-elle ?

Idrissa Hamidou Touré :
La lenteur judiciaire, c’est le manque de célérité dans le traitement des affaires. C’est un dysfonctionnement préjudiciable à la bonne perception que doit avoir le justiciable de la décision de justice.

L’Essor : Quelles sont les causes de la lenteur de la justice ?

Idrissa Hamidou Touré : On parle de l’incompétence lorsqu’un agent de la chaine judicaire est négligeant dans le traitement d’un dossier ou lorsqu’il produit un dossier avec des nullités ou omet de solliciter l’avis d’un expert en cas de besoin.


Cela met en péril l’issue de la procédure et l’efficacité de la décision à rendre. L’efficacité d’une décision de justice est largement tributaire des qualités professionnelles de l’agent qui l’a rendue.


La compétence professionnelle des praticiens de justice tient au respect d’un ensemble d’éléments : d’abord, le respect de l’éthique et de la déontologie. Aussi, des attitudes inappropriées du genre : afficher des signes d’ennui ; de nonchalance, d’impatience voire d’irritabilité, peuvent entamer la qualité des procédures voire la confiance des parties en l’appareil judiciaire.


Par exemple, une victime ou même un témoin qui manque de confiance pourrait être en mesure de faire une description détaillée de ce qui s’est passé, dans un environnement émotionnellement favorable, mais pourrait être embarrassé ou se renfermer s’il a l’impression d’être exposé à la vue du public ou attaqué.

Ensuite, le respect des règles de procédure telle que le principe du délai raisonnable. Il s’agit là d’une vertu qui n’est pas que personnelle mais qui engage collectivement la justice. La garantie du délai raisonnable commence à courir dès la naissance de la procédure, donc à partir des enquêtes préliminaires, par exemple, jusqu’à l’exécution de la décision par l’huissier de justice.

La diligence n’est pas la rapidité ou la précipitation, lesquelles peuvent être source d’erreurs mais bien la nécessaire conscience chez l’agent de justice que sa décision est attendue et que sa négligence ou son laxisme dans le traitement des affaires peut avoir des répercussions négatives pour les parties et pour l’ordre public.


Enfin, il y a le manque de moyens (humains et matériels). Nous sommes 532 magistrats sur lesquels beaucoup ne sont plus dans la distribution de la justice pour plus de 20 millions d’habitants.

L’Essor : Quelles sont les formes de la lenteur de la justice ?

Idrissa Hamidou Touré : Elle revêt plusieurs formes, qui vont des enquêtes policières enlisées, des erreurs de procédures, des dossiers jamais réglés à temps aussi bien par les parquets que par les cabinets d’instruction. Mais également des dessaisissements de procédures motivés par des questions de personne, des renvois successifs et autres sine die, des cédules de citation irrégulièrement formalisées, ou qui ne le sont jamais parce que les honoraires des huissiers ne sont pas payés par l’État de sorte qu’eux aussi s’abstiennent de dépenser encore.

S’y ajoutent des rabats de délibérés injustifiés et autres délibérés prorogés, la rédaction tardive des factums par les juges, le manque de ponctualité du magistrat pour l’examen des causes soumises à son office. Or, la longueur du temps obscurcit la clarté des décisions de justice.

L’Essor : Que répondez-vous à ceux qui trouvent qu’il y a trop de mandats de dépôt actuellement et que les gens ne sortent pas de prison ?

 Idrissa Hamidou Touré : Il faut souligner que le taux de délinquance a explosé et que tout le monde a démissionné, laissant la régulation sociale à la seule justice. On n’a donc que le choix de réprimer. Comme disait Montesquieu : «on examine la cause de tous les relâchements, on verra qu’elle vient de l’impunité des crimes et non pas de la modération des peines». L’impunité avait trop droit de cité dans ce pays, il fallait la combattre et on est en train de gagner ce combat aussi bien dans le monde physique que dans le monde virtuel.

Par exemple aujourd’hui en Commune IV, il n’y a plus ou presque de spéculateurs fonciers. Ces délinquants qui pouvaient en toute impunité, morceler même votre titre foncier et le vendre ou vendre un seul terrain à deux, trois personnes. Ils sont pour la plupart en prison et ceux qui n’ont pas été retrouvés, ont fui le pays. Depuis, les gens sont tranquilles par ici. Dans le monde virtuel, les injures grossières de père et de mère à visage découvert sur le territoire national, c’est du passé.

Il ne reste plus que ceux qui sont à l’extérieur. Contre la plupart, il y a des mandats d’arrêts au niveau d’Interpol. Seulement, il se trouve que tant que la personne ne se présente pas dans un aéroport en vue de voyager ou qu’elle ne fait pas l’objet d’un contrôle de police, elle n’est pas interpellée car les agents ont tellement de choses à faire qu’ils ne vont pas les chercher.

C’est souvent à la suite d’un banal contrôle de police qu’ils se rendent compte qu’il y a un mandat et alors ils arrêtent la personne. L’avantage est que dès qu’un mandat est envoyé à Interpol, la personne visée est tout de suite inscrite au tableau des antécédents judiciaires (TAJ) de sorte que dès qu’elle est contrôlée par la police quelque part, tout de suite elle est arrêtée.  

Donc on n’est nullement pressé concernant ces gens. Tôt ou tard ils seront arrêtés et renvoyés au pays. Aussi, ce que les gens ne disent pas à propos de la surpopulation carcérale, si la Maison centrale d’arrêt de Bamako (MCA) a été construite pour recevoir 400 personnes, c’est parce qu’à cette époque, ce n’était pas le même nombre d’habitants qu’il y a aujourd’hui dans la capitale.


La population a explosé. Or, plus il y a du monde dans une ville, plus le taux de délinquance grimpe. Malgré tout, les magistrats, qui sont largement en nombre insuffisant, font de leur mieux. Par exemple, ici en Commune IV, de janvier 2022 à maintenant, on est à près de 800 mandats pour le parquet sur lesquels près de 700 ont été jugés, plus de 140 ont été relaxés, 200 ont été transférés de la MCA vers la prison de Kenièroba, les autres (plus de 200) ont purgé leurs peines et sont sortis de prison.

À ce jour, on n’a que 85 qui purgent leurs peines et un peu plus de 100 qui attendent leurs jugements. Pour vous dire que les gens sont jugés, ils sortent mais malheureusement puisqu’il n’y a pas de mesures d’accompagnement ou de réinsertion sociale, beaucoup reviennent en moins de deux mois parfois. Et si vous regardez les statistiques au niveau de la MCA, vous verrez que plus de 70% sont des cas de vol. Il n’y a malheureusement pas d’alternative au mandat pour un voleur chez nous.

Pour le reste, il ne faut pas perdre de vue que nous sommes une société qui punit les écarts de conduite. Quand une personne commet une faute, elle n’est pardonnée qu’après avoir été sanctionnée. Ailleurs, ce n’est pas ainsi. Chaque société a ses réalités culturelles. Sinon de façon générale, la justice pénale africaine est plus efficace que la justice pénale occidentale.

Après, ils peuvent dire que l’on marche quelque peu sur les principes mais là aussi c’est une question de vue de l’esprit. Au moins, il ne peut y avoir 20 à 30 plaintes contre une seule personne sans réaction judiciaire. Cela est impossible au Mali. Ce qui est bien pourtant le cas dans certains systèmes judiciaires dits respectueux des droits et libertés individuels. La justice est largement tributaire des réalités socio-culturelles.

L’Essor : Comment combattre la lenteur de la justice ?

Idrissa Hamidou Touré : Le désordre de la justice, disait Montaigne, vient de ce que toutes choses sont vénales, du nombre des officiers qu’on y met mais surtout du mauvais ordre qu’on a de les choisir. Le juge a entre ses mains la liberté, l’honneur de ses concitoyens. Cela fonde les exigences légitimes que l’on peut avoir à son égard, lesquelles interpellent dès lors le comment recruter les hommes.

Un recrutement judicieux prévient et traite déjà en amont les éventuels manquements aux devoirs du magistrat. Ensuite pour mieux assurer les gens sur leurs responsabilités, il faut bien les former. Chateaubriand écrivait que la médiocrité est assez souvent secondée par des circonstances qui donnent à ses desseins un air de profondeur.

Au regard, souvent de la résistance des faits, de la fragilité des preuves et de la forclusion de la vérité, le juste équilibre de la balance, exige du juge des capacités intellectuelles élevées pour paraitre juste et équitable tant aux yeux du gagnant que du perdant d’un procès. Le magistrat doit convaincre de l’égalité et de son équité, non par la force du principe d’autorité mais par les arguments de la raison juridique accompagnés de la solidité de ses qualités professionnelles.

La Fontaine n’a-t-il pas dit que «d’un magistrat ignorant, c’est la robe qu’on salue». Pour que la robe abrite un magistrat respecté des justiciables et libre dans ses jugements, il faut qu’il ait une bonne connaissance des matières qu’il traite.

 Aussi il faut bien les évaluer. Ce sont en effet des insuffisances professionnelles involontaires du genre : incapacité à décider, à utiliser ses connaissances juridiques, à s’organiser dans son activité, à faire face à une masse importante de travail qui soulèvent en réalité des difficultés. On n’est pas revêtu du statut de magistrat pour plaire aux hommes mais bien pour les servir, parfois contre leur gré, contre leur volonté.

Enfin il faut adapter les missions des structures de contrôle aux exigences de l’air du temps. Ce qui implique surtout de déterminer les critères de compétence, d’expérience et de moralité dans la sélection et la nomination des agents qui y servent.


Parce qu’aujourd’hui, l’autre véritable souci, c’est la question de qui est légitime à porter la critique à qui d’un point de vue de bonnes pratiques professionnelles. Une dernière chose, c’est de promouvoir le mérite, d’encourager et féliciter les bonnes actions et sanctionner les fautes. C’est à ce prix que l’on construira le Mali Kura.

L’Essor : Jugez-vous satisfaisant le bilan du Tribunal de la Commune IV dans le domaine de la lutte contre l’impunité ?

Idrissa Hamidou Touré : Je pense sans démagogie que dans ce domaine, la plupart des résultats obtenus, sont imputables au TGI de la Commune IV. Et là je parle de tous les agents, depuis l’enquête préliminaire jusqu’à l’exécution des décisions, chacun a joué son rôle.


C’est ce qu’il nous a été demandé et je ne crois pas que les autorités judiciaires soient insatisfaites de cela à en juger par les propos du Garde des Sceaux. En tant que juridiction de droit commun, on est engagé que dans la lutte contre l’impunité. La lutte contre la délinquance économique et financière, celle contre le terrorisme relèvent d’autres entités judiciaires qui œuvrent à obtenir aussi des résultats.

Propos recueillis par

Aboubacar TRAORÉ

 

Aboubacar TRAORE

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