En
effet, le phénomène est devenu aujourd’hui monnaie courante. Les disputes, les
malentendus, les coups et blessures, les injures sont en général, les raisons
de la dislocation des familles. «Je veux divorcer. Ce n’est ni mon premier ni
mon deuxième mariage, mais je veux divorcer», s’agite Aminata, 32 ans, estimant
qu’il vaut mieux être seule que de vivre avec un homme cruel. Lors que son
conjoint l’appelait par vidéo sur son téléphone, elle montre avec ironie ce
dernier aux autres femmes venues demander le divorce au Tribunal de la commune
VI.
Lorsque l’une d’entre elle remarque, le visage mélancolique de ce dernier,
elle lance : «Façon tu vois sa figure en voie de décomposition, son
cœur est pire. Il est cruel, manipulateur et menteur. Cet homme a un
double visage. Avant le mariage, c’était un ange mais une fois marié, il est
devenu sadique. Il me bat. Au début, j’essayais de supporter, parce
que j’étais à mon troisième mariage. Une fois, j’ai failli perdre la vie. Si je
ne le quitte pas, je me retrouverai un jour, dans le placard de la morgue»,
explique Aminata.
Le
hic est que son époux l’aime encore et lui a fait part devant le juge.
Mais Aminata est déterminée à signer l’acte de divorce. À côté d’elle, une
trentaine de femmes sont assises sur le banc, dans le couloir du Tribunal de la
commune VI. Elles échangent sur leurs
difficultés conjugales et envisagent toutes de demander le divorce.
À
19 ans seulement, Malado vient de recevoir son acte de divorce des mains de la
secrétaire du juge. Elle explose de joie comme si elle venait d’être reçue
au Baccalauréat. «Je vais pouvoir me remarier. Pour le moment, il y a deux
prétendants». Malado n’a fait que 2 ans de mariage avec un homme devenu
mentalement instable.
De son côté, Mata, 28 ans, promet d’organiser une fête pour célébrer son divorce. «Une fois mon divorce prononcé, je commanderai un gâteau où il sera écrit : joyeuse fête de divorce», a déclaré l’élégante jeune dame. «Je te comprends ma chérie», enchaine Abba. «Quand on souffre dans son cœur, à un certain point, on ne sent plus rien pour l’homme auquel on est lié. Moi, je me sens juste perdue, stressée et traumatisée. Nous ne nous aimons pas», raconte celle qui est séparée de ses deux enfants depuis neuf mois. Son mari, dit-elle, a amené les mômes à Wassolo, dans la Région de Bougouni chez sa mère et Mata n’a aucune nouvelle d’eux.
LES
CAUSES DU DIVORCE- Un magistrat qui a préféré garder l’anonymat, nous confie
que les jeunes de nos jours, en majorité, ne sont pas matures pour le
mariage. Ils ne s’assument pas et la société y contribue fortement. Selon lui,
ce sont les femmes qui demandent plus le divorce actuellement et elles sont
soutenues par les parents, qui ont failli à leur devoir de responsabilité.
Notre interlocuteur rappelle que les causes du divorce au Mali sont, entre
autres, l’infidélité, les excès, les sévices, les injures graves, la
condamnation à une lourde peine, la consommation abusive d’alcool et des
produits stupéfiants. Pour le juge de siège, Oumar Touré, la première cause du divorce est d’ordre
financier.
«Avec les temps qui courent, l’homme ne parvient pas toujours à
assumer ses responsabilités financières. Quand on reçoit les couples,
la femme se plaint très souvent du fait que son époux a des difficultés
pour la nourrir, l’habiller, la soigner», explique le magistrat. Comme
deuxième cause de divorce, il évoque la violence basée sur le genre. Beaucoup
de femmes, d’après lui, demandent le divorce pour maltraitance physique et
surtout morale. En 3è lieu, le juge évoque l’impuissance sexuelle. «80% des
personnes qui viennent demander le divorce ne vivent plus sous le même toit
depuis longtemps. Pour elles, les procédures de divorce sont juste une
formalité. Nous nous efforçons de ne pas prononcer plus de 40 cas de divorce
par semaine, alors que nous recevons des centaines de demandes de divorce»,
relève le juge Oumar Touré.
Le président du Tribunal de la Commune IV,
Kassoum Koné, souligne qu’on reproche aux juges de prononcer trop de divorces,
alors que c’est le contraire. «Pour qu’un couple vienne devant le juge, il
passe d’abord par les parents, les amis, les voisins, les griots, les imams. Au
moment où nous les recevons, cela trouve qu’il n’y a plus d’espoir. Ils ont
déjà épuisé tous les canaux de dialogue, de conciliation et de réconciliation.
Donc, on ne peut que constater le divorce», fait-il remarquer.
Pour
le magistrat, on ne peut pas forcer un homme à rester avec une femme ou vice
versa. Car cela pourrait avoir des conséquences que la justice ne pourrait pas
gérer. Pour autant, lorsque le juge reçoit une demande de divorce, il écoute
les deux parties et leur accorde un délai de 3 mois pour la réflexion. Après,
c’est la tentative de conciliation. En cas d’échec, on constate le divorce à
vil prix (25.000 Fcfa) pour régler les frais du dossier», détaille Kassim
Koné.
Le
magistrat rappelle que les femmes qui quittent le domicile conjugal sans
autorisation légale ou sans motif grave sont considérées par la loi, comme
coupables d’abandon de domicile conjugal. Une infraction punie par le Code
pénal malien. En fait, si le mari porte plainte, la femme risque une peine
d’emprisonnement de 11 jours à 3 mois et pourrait écoper d’une amende de
20.000 à 120.000 Fcfa.
Le
président du Tribunal de la Commune IV explique qu’il existe aussi le divorce
par consentement, qui est la méthode la plus rapide. Dans ce cas de figure, le
juge n’a pas le droit de demander la cause de la désunion. Il s’assure juste
que la femme n’a pas été contrainte pour décider.
LE
REGARD DE LA SOCIÉTÉ- Parlant du divorce, le représentant des familles des
griots, Bourama Soumano, estime qu’il n’est pas étonnant que les ménages
soient fragiles de nos jours. «Avant, les gens se mariaient à travers la
famille. De nos jours, les jeunes décident eux-mêmes et viennent informer les
parents. Ils n’ont de critères que l’apparence, l’attirance et l’amour aveugle.
C’est bien, mais cela n’est pas suffisant pour une union qui doit durer toute
une vie», explique le griot. Pour lui, les gens divorcent pour différentes
raisons.
«Par exemple, j’ai été interpellé dans des cas où la femme a quitté
son foyer à cause des injures graves. Pourtant il y a des couples qui
s’insultent à longueur de journée et se disputent, mais continuent à faire des enfants»,
dit-il. La conseillère conjugale, Oumou Diarra, animatrice à l’ORTM, pense
que le problème du divorce a trait à l’éducation. «Les jeunes
d’aujourd’hui en manquent cruellement. Les filles n’ont que des belles tenues,
des biens matériels. Le jour du mariage, les mamans louent leurs qualités
en disant qu’elles savent cuisiner, faire la lessive et la vaisselle. En fait,
elles ignorent même la bonne manière de s’adresser à un ainé. C’est le même
cas, pour les jeunes hommes qui n’ont aucun respect pour la femme et surtout
pour la belle famille. Ils ont tendance à partager la charge avec la femme,
alors que c’est de leur responsabilité d’assumer les dépenses de la famille.
C’est tout ceci qui fragilise le foyer», explique-t-elle.
Tous
les vendredis, Oumou Diarra anime une émission, où elle reçoit les jeunes
couples qui viennent expliquer leurs problèmes. «Ils racontent des choses qui
vous laissent sans voix. Du matin au soir, je ne fais que parler et
répéter la même chose qui est le savoir vivre», dit l’animatrice.
Dans cette tâche, elle se fait assister par une religieuse dans le but
d’expliquer les vertus d’un conjoint et la récompense divine. «La
chose la plus détestée auprès d’Allah, est le divorce», édifie le religieux
Moustaph Coulibaly, parce que l’union conjugale est sacrée. «Le mariage est le
socle de la famille, il représente la stabilité, la dignité, la pudeur de la
société, quand il est réussi. L’homme a le devoir d’aimer, protéger, nourrir,
loger et vêtir sa femme. La femme doit le respect, l’obéissance, à son mari.
Elle doit prendre soin de lui et de ses affaires.
En islam, la femme ne peut
pas demander le divorce, mais elle peut demander l’annulation de son statut
conjugal, auprès d’un guide spirituel qui examine son cas, selon les écritures
saintes. Dieu, dans sa sagesse, permet le divorce, parce que le mariage n’est
pas une condamnation. Le divorce est nécessaire dans certaines situations.
Satan, lui, s’en félicite, puisque le divorce ouvre la voix à tous les
maux et à tous les péches: fornication, désamour, haine…», explique
l’homme de Dieu. «Le divorce est contre l’action de Dieu», rappelle le Pasteur
Vincent Dembélé de l’Église la Foi de Sirakoro.
Le divorce, poursuit-il, rompt
ce que Dieu a uni. Genèse 2 : 42 l’homme quittera son père et sa mère et
s’attachera à sa femme et les deux formeront une seule chaire. Selon la
critique historique LC 16, 18, précise l’homme d’église, tout homme qui répudie
sa femme et en épouse une autre, commet un adultère. Et celui qui épouse une
femme répudiée par son mari commet un adultère. C’est la forme la plus
proche de la déclaration de Jésus.
Maïmouna SOW
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