Cour d’assises : L’élu local prend 5 ans de prison ferme

La session spéciale sur les crimes économiques et financiers a jugé une quinzaine d’accusés dont A. Sissoko, l’intérimaire du défunt maire principal de Sitakily (Région de Kayes)

Publié mardi 21 janvier 2025 à 08:49
Cour d’assises : L’élu local prend 5 ans de prison ferme


Ils étaient accusés du crime  d’«atteinte aux biens publics, fractionnement de marchés publics, délit de favoritisme et complicité». Ainsi, il est reproché aux inculpés le détournement de plus de 02 milliards et demi de Fcfa courant 2019. La disparition de ladite somme serait la conséquence directe de malversations dans l’attribution des marchés et contrats publics de la mairie.

L’acte d’accusation faisait ressortir qu’à la suite du décès du nommé F. Sissoko en cours de mandat en septembre 2020, il fut remplacé par son 1er  adjoint A. Sissoko jusqu'en février 2021, avant d’être confirmé maire de Sitakily à cette date. À peine installé, les conseillers communaux ont saisi le parquet de Kayes d'une plainte contre le nouveau maire et certains de ses collègues.

Par la suite, le pôle économique et financier de Kayes est saisi et une enquête  fut ouverte couvrant la période du 1er  janvier 2017 au 31 décembre 2019. L’enquête a révélé des irrégularités financières s'élevant à plus de 2 milliards et demi de Fcfa, somme que l’élu local et ses collègues incriminés n'ont pu justifier. Cependant, ils avaient, à l’époque, tenté d’expliquer que la somme disparue avait été utilisée pour l’achat d’engins, de carburant, l’entretien de véhicules, d’équipements de bureau, de fournitures scolaires pour des villages et la dotation de certaines autres actions, etc. 

 Ces explications s’étant avérées fausses,  les mis en cause ont ainsi été renvoyés en Cour d’assises pour y être jugés conformément à la loi. Au cours des enquêtes préliminaires,  aucun d’eux n’a reconnu les faits. Ils sont tous restés dans cette logique devant le magistrat instructeur. Tour à tour, les inculpés sont passés à la barre pour s’expliquer. Ainsi chaque accusé tentera de convaincre les jurés de la façon dont les choses se sont passées lorsqu’ils étaient aux affaires.

 Le secrétaire général de la mairie à l’époque des faits A. Mounkoro a été le premier à s’expliquer. Il soutiendra qu’au moment des faits, il avait la charge de préparer les réunions du conseil, dresser les procès-verbaux des différentes sessions et d’assister le maire dans sa gestion administrative et règlementaire. « Il est vrai que les régisseurs des recettes et dépenses me présentaient l’état de leurs activités annuelles et, ensemble  on élaborait un document de synthèse appelé compte administratif. Je donnais aussi des conseils au défunt maire concernant les conditions d’attribution des marchés qui n’étaient pas respectées», a-t-il expliqué.

Non convaincu de ces explications, le président l’interrogera s’il ne siégeait pas au conseil communal. En réponse, l’accusé dira qu’il siégeait effectivement aux différentes commissions. Cependant, il précisera qu’il n’avait ni autorité de conclusion ni d’approbation. «J’étais présent uniquement pour dresser les procès-verbaux», s’est-il défendu. Quant à M. B. Cissé, régisseur des dépenses  à l’époque, il a rejeté toutes les accusations le concernant.

Il s’est contenté de dire qu’il se chargeait juste de l’exécution des dépenses ordonnées par le maire principal.

«J’assurais les mandatements et participais à l’élaboration des documents financiers et comptables. En ma qualité de chef comptable, je veillais à la préparation et à l’exécution du budget communal, à la production des documents financiers et comptables en assurant la mobilisation des ressources financières et la prise en charge des dépenses obligatoires», a-t-il  détaillé.

Au sujet de la somme incriminée, il a reconnu la réception des factures visées par le maire dont les mandats étaient établis par lui. Et un conseiller de l’interroger sur la manière dont ils recevaient du carburant. «Moi, j’ai utilisé du carburant pour les missions du service et le paiement était effectué sur la base des reçus individuels rassemblés pour en faire une seule». Le conseiller de continuer : «Que dites-vous sur l’irrégularité du décaissement de 1, 4 milliard de Fcfa, destinés aux 20 villages». L’accusé  répondra  qu’il n’en a aucune idée.

Le régisseur des dépenses d’égrener pêle mêle la réalisation, le coût d’entretien des 3 centres d’état civil (plus de 40 millions de Fcfa), les frais d’études des projets de faisabilité et de formations (plus de 229 millions et demi de Fcfa). En sa qualité de membre de la commission de dépouillement, le président de la Cour lui demandera d’expliquer à la Cour comment les marchés d’appels d’offres étaient attribués. Sur ce point, l’accusé a été très clair : «  Je ne suis  jamais intervenu dans le processus d’attribution ».

 

DES MARCHES PUBLICS DE 25 à 50 millions de Fcfa- Pour sa part, l’accusé principal, A Sissoko, a expliqué qu’il a remplacé le maire défunt F. Sissoko courant février 2021 et qu’il était auparavant 1er adjoint et président de la commission des finances. à ce titre, il concluait sous l’autorité d’approbation du maire défunt les marchés publics dont le seuil de passation se situait entre 25 et  50 millions Fcfa. Excepté cela, l’élu local soutiendra qu’il n’entretenait aucun rapport avec les régisseurs des recettes et des dépenses. Au sujet des frais de carburant des véhicules, et du groupe électrogène de la mairie, l’ex édile a attesté leur bien-fondé, soit plus de 225 millions de Fcfa. «Le défunt maire, ses trois adjoints et les régisseurs des recettes étaient bénéficiaires desdits engins dont les différentes factures étaient rassemblées pour en établir une seule à la fin de chaque exercice annuel», a-t-il détaillé.

Durant plusieurs dizaines de minutes à la barre, l’accusé F. Sissoko a donné des explications détaillées sur la disparition de la somme reprochée à lui et certains de ses collègues. Et chacun des accusés en a fait de même pour essayer de convaincre les jurés dans l’espoir d’échapper à la rigueur de la loi en l’espèce. Quant aux prestataires qui ont bénéficié de marchés, à la barre ils ont systématiquement tous nié leurs responsabilités dans cette histoire. Mieux, ils sont allés loin en soutenant qu’ils avaient entièrement exécuté leurs obligations vis-à-vis de la mairie qu’ils accusent d’ailleurs de ne les avoir pas tout payé après exécution de leur part de prestation.

Le contentieux de l’état a déploré les faits, déclarant que les agissements des accusés ont laissé un « trou » dans les finances de la mairie, et par ricochet, les fonds de l’état. «L’accusé principal A. Sissoko a rejeté toutes les accusations concernant l’octroi des marchés alors que les débats ont montré le contraire. Il a participé à toutes les irrégularités qui ont permis de dilapider les fonds. S’agissant des fournisseurs, certains ne savaient même pas ce que c’est qu’un marché. Ils ont simplement été embarqués par les malfaiteurs. L’atteinte aux biens publics est établie, parce qu’ils n’ont pas pu fournir des pièces justificatives concernant la disparition de plus de 2 milliards de Fcfa», a martelé le défenseur de l’etat.

à propos des marché publics, un des conseils de la partie civile a tenté de donner des clarifications quant à son mode de passation : «C’est une commission qui siège à la mairie concernant les marchés publics. Le maire n’est jamais seul signataire. Il signe au nom des membres du conseil qui délibère sur une situation. La mairie de Sitakily n’a pas de commissaire aux comptes, ni de comptabilité-matières. Il y a juste un compte rendu administratif qui ne répond pas aux normes», a-t-il répliqué.

Parlant de l’intérimaire, l’avocat pense que celui-ci s’est déchargé sur le défunt élu communal. «C’est une honte, car celui-ci ne peut plus se défendre. Il a expliqué qu’en sa qualité de 2ème  adjoint au maire, il n’a jamais été associé à quoi que ce soit. Un analphabète ne doit pas être maire parce qu’il ne sait, ni lire, ni écrire les lois qui régissent sa fonction», a-t-il déclaré.

Pour sa part, le parquet a indiqué qu’au regard de certaines irrégularités constatées à la barre, tous les accusés ont contesté le rapport d’audit. «Laquelle des deux versions est-elle à retenir ?», s’est  interrogé le magistrat, précisant que tous les entrepreneurs ont indiqué avoir obtenu leur contrat, suite à un appel d’offres lancé par le défunt maire. «Les avis d’appels d’offres ont été lancés, les entrepreneurs ont soumissionné leurs dossiers et ils ont bénéficié des marchés. Certains ont totalement exécuté leur contrat, d’autres non. Pourquoi le contrôleur financier n’a pas été inculpé, mais il a juste été entendu à l’enquête préliminaire», s’est demandé le parquet qui, partant de ces observations, a requis l’acquittement de tous les complices.

Concernant A. Mounkoro, le défenseur des citoyens a estimé qu’il n’avait pas sa place au tribunal, à cause du fait qu’il n’a signé aucun contrat public  et n’a attribué aucun marché. Ainsi, le ministère public a démonté un à un les accusations portées à l’encontre de tous les accusés, à l’exception du nommé A. Sissoko. Ce dernier aurait facilité l’obtention d’un marché à un de ses frères au détriment d’autres prestataires de service, potentiels acquéreurs dudit marché. La Cour l’a finalement reconnu coupable de «favoritisme» et l’a condamné à 5 ans d’emprisonnement et au payement de 3 millions de Fcfa d’amende. Tous les autres accusés ont été simplement acquittés.

Tamba CAMARA

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