Mossadeck Bally à propos de la fiscalité foncière : «Chaque année, le Mali perd des dizaines de milliards de Fcfa de recettes fiscales potentielles»

Dans cette interview exclusive, le président du Conseil national du patronat du Mali (CNPM), Mossadeck Bally, propose des pistes pour l’établissement d’une fiscalité foncière bien repartie et soutenable au Mali

Publié mercredi 23 juillet 2025 à 07:46
Mossadeck Bally à propos de la fiscalité foncière : «Chaque année, le Mali perd des dizaines de milliards de Fcfa de recettes fiscales potentielles»

L’Essor : Quelle analyse faites-vous de la répartition de la fiscalité dans notre pays ?

Mossadeck Bally : La fiscalité au Mali reste fortement concentrée sur un nombre restreint de contribuables, essentiellement formels et situés à Bamako. C’est une fiscalité dite «confiscatoire». En 2023, la Banque Mondiale a fourni une donnée selon laquelle, moins de 5% des entreprises génèrent plus de 90% des recettes fiscales. Ce chiffre a été recoupé auprès des services des impôts. Ces derniers estiment, en effet, la répartition à moins de 10% des contribuables qui paient 90% des impôts.

Cela révèle une base fiscal
e étroite et concentrée, une pression fiscale perçue comme injuste par les opérateurs formels et une faible contribution des acteurs de l’informel et du foncier urbain. La structure des recettes fiscales repose, à plus de 60%, sur les impôts indirects (TVA, droits de douane). Et les impôts directs (impôt sur les salaires et impôt sur le revenu) sont captés en majorité dans le secteur formel, ce qui pèse davantage sur les grandes entreprises structurées.

L’Essor : Selon des observateurs du secteur privé, 90% des entreprises n’honorent pas leurs obligations fiscales. Qu’en pensez-vous ?

Mossadeck Bally : Cette affirmation reflète une réalité connue. Le secteur informel représente plus de 85% des unités économiques au Mali, dont très peu sont fiscalisées. La Direction générale des impôts (DGI) a estimé que moins de 20 000 entreprises paient effectivement l’impôt sur les sociétés, pour une population économique active de plus de 400.000 entités (formelles, individuelles ou de fait). La DGI reconnait tout de même que le chiffre de 90% des entreprises qui ne contribuent pas n’est pas fondé, l’essentiel des PME étant au moins à l’impôt synthétique. Cela traduit une évasion ou non-déclaration massive, une inefficience de l’identification et du contrôle fiscal et une méfiance de l’administration envers les petits contribuables, perçus comme non solvables ou instables.

L’Essor : Quelle est la part du secteur privé dans l’assiette fiscale au Mali ?

Mossadeck Bally : Le secteur privé formel est le principal contributeur fiscal. Il représente plus de 80% des recettes fiscales hors pétrole et douane et les services fiscaux estiment à 95% la contribution du secteur privé. Le secteur public, malgré sa masse salariale élevée, est surtout contributeur via l’impôt sur les traitements et salaires (ITS).

L’Essor : Qu’est-ce qui explique cette faible contribution du secteur informel ?

Mossadeck Bally : Les causes sont multiples : La taille, hypertrophiée de l’informel, la complexité des procédures fiscales et leur faible digitalisation, le non-respect du pacte social, qui légitime la perception d’impôts, l’impunité qui favorise le contournement des lois fiscales. Autrement dit, les petites entreprises fuient la fiscalité à cause de la lourdeur administrative et de son caractère, parfois, confiscatoire.

Autre facteur, le manque de confiance en l
’État : la perception d’une faible contrepartie des impôts, la faible digitalisation du contrôle fiscal et le manque de moyens humains et logistiques à la DGI pour le recensement et le recouvrement. Des initiatives d’interconnexions sont en cours avec la Douane, l’EDM, la Somagep... etc., pour rendre l’information disponible sur le contribuable. Ces genres d’initiatives contribueront forcément à l’amélioration du recouvrement

L’Essor : Comment établir une équité fiscale dans notre pays ?

Mossadeck Bally : Pour ce faire, il y a quelques pistes. Il s’agira, entre autres, d’élargir l’assiette en intégrant progressivement le secteur informel (fiscalité simplifiée, type impôt forfaitaire unique), réduire la pression sur les entreprises formelles en rééquilibrant la charge fiscale, digitaliser les procédures pour améliorer la traçabilité, la transparence et l’efficacité. Il va falloir aussi fiscaliser progressivement le foncier bâti et non bâti, surtout dans les zones urbaines (grande réserve fiscale actuelle) et renforcer le contrôle sur les revenus non salariaux (loyers, professions libérales, etc.).


L
’Essor : Qui doit faire quoi ?

Mossadeck Bally : L’État (le ministère des finances et les services d’assiette) doit réformer le système, digitaliser et élargir la base.  Au niveau des collectivités, mettre à jour le cadastre et la fiscalité foncière locale.

Le CNPM et les autres organisations patronales doivent mener un plaidoyer pour une fiscalité juste et mieux repartie et peuvent aider dans la formalisation de l’informel. Les Banques et les opérateurs de Mobile Banking doivent être des partenaires stratégiques dans la collecte (paiement mobile, digitalisation). Quant à la société civile, elle doit contribuer à l’éducation fiscale, au renforcement du pacte social (je paie mes impôts et en retour je reçois des services publics de qualité) et à la lutte contre la corruption, premier ennemi de la collecte de recettes fiscales.

 

L’Essor : Quelle est la part de la taxe sur le revenu foncier dans l’assiette fiscale ?

Mossadeck Bally : Elle est extrêmement marginale, estimée à moins de 1% des recettes fiscales totales. Cette sous-exploitation est due à l’absence de cadastre fiscal à jour, le non-enregistrement d’une grande partie des transactions, la faiblesse de la taxation des revenus locatifs et des propriétés non bâties. En 2022, l’impôt sur le revenu foncier, selon la DGI, se chiffrait à 3.810.869.114 Fcfa, 4.279.309.551 de Fcfa, pour l’année 2023 et en 2024, l’impôt sur le revenu foncier a atteint 4.107.444 449 Fcfa. La part de l’impôt sur le revenu foncier, dans les recettes fiscales totales, était de 0,38% en 2022, 0.37% en 2023 et 0,31% en 2024.

L’Essor : Donc, faudra-t-il établir la fiscalité foncière dans notre pays ?

Mossadeck Bally : Oui, impérativement. Un projet dans ce sens est en cours. Le foncier urbain est une énorme niche fiscale, pas du tout exploitée. Il constitue une source stable, prévisible et locale de recettes. Le foncier urbain permet d’élargir l’assiette sans surtaxer les entreprises formelles et incite à une meilleure utilisation des terres urbaines.

L’Essor : En quoi l’absence de fiscalité foncière constitue, actuellement, un manque à gagner pour l’État du Mali ?

Mossadeck Bally : Il faut savoir que le trésor public perd, chaque année, des milliards de Fcfa de recettes potentielles, notamment dans les grandes zones résidentielles, industrielles ou commerciales de Bamako et dans les capitales régionales. Ces zones foncières sont, en effet, faiblement ou pas du tout fiscalisées. Cela pénalise l’investissement public local (voiries, services, eau, électricité, etc.) et renforce l’injustice fiscale parce que les propriétés foncières non exploitées ou spéculatives ne contribuent pas aux recettes fiscales, ni de la commune, ni de l’État central.

L’Essor : Que préconisez-vous pour l’établissement d’une fiscalité foncière au Mali, à l’image de la quasi-totalité des pays de la planète ?

Mossadeck Bally : La mise à jour du cadastre urbain, avec un appui technique de qualité, la digitalisation dudit cadastre et la géolocalisation des biens imposables. La technologie permet aujourd’hui d’avoir sur son téléphone portable les images satellites d’une parcelle et ses coordonnées GPS. Cela rend la taxation et la collecte de taxes hyper simple. Ensuite, il faudra instaurer un impôt simple sur les terrains non bâtis et bâtis et les loyers déclarés, avec dégrèvement pour usage social, tout en impliquant les collectivités locales qui peuvent percevoir cet impôt et en tirer des ressources propres à investir dans les infrastructures publiques. On peut s’inspirer des modèles de pays ayant réussi le pari de la fiscalité foncière, qui, du reste, est un pilier de la décentralisation et donc du développement des territoires.

Le CNPM et notamment son groupe de travail sur la fiscalit
é, dirigé par Bikiry Makanguilé, reste totalement engagé auprès des autorités de notre pays pour changer et en profondeur, la donne fiscale au Mali. Une fiscalité, juste, bien repartie, soutenable, prévisible, progressive et acceptée par tous les contribuables, est un facteur absolument fondamental dans l’attractivité d’une économie. À défaut, l’État et les collectivités locales auront et durablement, un espace budgétaire très contraint, ce qui freinera, bien sûr, le développement socio-économique du pays. Pour rappel, développement socio-économique et la sécurité sont consubstantiels.

Interview réalisée par

Babba COULIBALY

Lire aussi : 38è anniversaire de la disparition du président Thomas Sankara : le message d’hommage du capitaine Ibrahim Traoré

À l’occasion du 38è anniversaire de l’assassinat du Président Thomas Isidore Noël Sankara, le chef de l’État burkinabè, le capitaine Ibrahim Traoré, a rendu un vibrant hommage au père de la Révolution d’août 1983.

Lire aussi : Décès de l’ancien Premier ministre Soumana Sako: la Nation perd un homme d´Etat

L’ancien Premier ministre Soumana Sako a tiré sa révérence, ce mercredi 15 octobre 2025. Né en Nyamina en 1950, Soumana Sako a obtenu le Diplôme d’étude fondamentale (DEF) en juin 1967 et le Bac trois ans plus tard, en se classant dans les cas deux Premier national.

Lire aussi : Environnement : Les femmes de Siby à l’avant-garde de la sauvegarde

En plus d’être de ferventes agricultrices, les femmes de Siby sont aussi de véritables gardiennes de la nature. Elles assurent la protection de l’environnement avec leur savoir-faire.

Lire aussi : Journée internationale de la femme rurale : Hommage aux «NYeléni» de Siby

C’est aujourd’hui qu’on célèbre la Journée internationale de la femme rurale. À cette occasion, nous sommes allés à la rencontre des braves femmes de Siby dont la principale activité est de travailler la terre pour garantir la sécurité alimentaire dans la communauté et assurer leur a.

Lire aussi : Kangaba : Démarrage des travaux du principal caniveau

Les travaux de construction du principal caniveau qui traverse la ville de Kangaba ont démarré le jeudi 9 octobre. Ils sont financés par le budget de la Commune rurale de Minidian pour un montant total de 47.496.416 Fcfa. Le premier coup de pelle a été donné par le maire de cette commune, Mamb.

Lire aussi : Diéma : Des consignes claires pour éviter une pénurie de carburant

Le 2è adjoint au préfet de Diéma, Attayoub Ould Mohamed, à la tête d’une délégation restreinte, comprenant le 2è adjoint au maire de la Commune rurale de Diéma, Nakounté Sissoko, le chef du service subrégional du commerce et de la concurrence, Mamby Kamissoko, et des éléments des Forc.

Les articles de l'auteur

Hydrocarbure : La DGCC, l’OMAP et la DNGM contrôlent les prix officiels et stocks physiques

«Il y a suffisamment de stock de carburant». Ces propos sont du directeur régional du commerce, de la consommation et de la concurrence du District de Bamako, Fousseyni Bamba, qui a conduit hier une mission de contrôle et de sensibilisation dans plusieurs stations-service de la capitale..

Par Babba COULIBALY


Publié vendredi 10 octobre 2025 à 11:55

Lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme : Le pafeem renforce les capacités des SFD

Le Projet de promotion de l’accès au financement, de l’entreprenariat et de l’emploi au Mali (Pafeem) a lancé, le lundi 7 octobre 2025 à Bamako, une session de formation dédiée aux cadres des Systèmes financiers décentralisés (SFD) sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT)..

Par Babba COULIBALY


Publié mercredi 08 octobre 2025 à 12:56

Consommer local au sein de l’Uemoa : La 6è édition démarre

Le ministre de l’Industrie et du Commerce, Moussa Alassane Diallo, a lancé, jeudi dernier, les activités de la 6ème édition de l’initiative «Mois d’octobre, Mois du consommer local» qui s’étendent sur tout le mois dans tous les États membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa)..

Par Babba COULIBALY


Publié lundi 06 octobre 2025 à 07:42

Hydrocarbures : Pas de hausse de prix

Un vent de panique souffle depuis quelques jours sur la capitale à propos d’une éventuelle augmentation du prix du litre d’essence ou du gasoil à la pompe. Mais, il suffit de faire un tour dans les stations-services pour se rendre compte que les prix officiels de ces combustibles n’ont pas bougé d’un iota.

Par Babba COULIBALY


Publié vendredi 26 septembre 2025 à 08:01

Protection des données à caractère personnel : l’APDP et la FNIHM front commun

À travers cette convention, l’APDP s’engage à être un partenaire de proximité pour la Fédération nationale de l’industrie hôtelière du Mali.

Par Babba COULIBALY


Publié jeudi 25 septembre 2025 à 11:20

Spécial 22 septembre 2025, Secteur minier : L’État maximise ses revenus

Les réformes initiées ces dernières années ont permis à l’État malien de renforcer sa présence et ses revenus dans ce secteur névralgique du développement économique de notre pays. Ainsi, la participation de l’État dans les capitales des sociétés minières a augmenté de 20% habituel à 30% pour et 5% pour les privés nationaux, soit un total de 35% pour le pays.

Par Babba COULIBALY


Publié vendredi 19 septembre 2025 à 21:44

Vision «Mali Kura gnetaasira ka ben san 2063 ma» : Le document présenté aux autorités administratives indépendantes

Aucun pays ne peut se développer sans une planification, une projection dans le temps. C’est dans cet esprit que les autorités ont conçu la Vision «Mali Kura gnetaasira ka ben san 2063 ma» et la Stratégie nationale pour l’émergence et développement durable (SNEDD) 2024-2033..

Par Babba COULIBALY


Publié mercredi 03 septembre 2025 à 08:00

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner