«Parler à
froid du terrorisme paraît parfois inadéquat tant celui-ci est identifié
justement à l’inattendu et au tragique» Volton et Wieviorka, Terrorisme à la
Une, Au Vif du Sujet. Gallimard 1987 P. 100. Le Mali a connu, mardi 17
septembre 2024, une série d’attaques terroristes qui ont visé des centres névralgiques
du dispositif sécuritaire du pays. Le message est-il passé 5/5 et reçu dans les
mêmes proportions par les destinateurs et les destinataires ?
Dominique
Volton, Michel Wieviorka et Brigitte L. Nacos ainsi que de nombreux sociologues
de différents pays ont cogité sur les rapports entre le terrorisme et la presse dans des ouvrages de
référence pour les universitaires qui travaillent sur le phénomène. Les deux
premiers, Volton et Wieviorka, dans leur livre cité ci-dessus, ont analysé le
jeu naturel et favori des médias qui consiste à toujours chercher le
sensationnel et la surenchère à laquelle ils se livrent. Ce qui les a amenés à
considérer les médias comme des «pousse-au-crime» et des «complices objectifs
plus que des témoins impartiaux» du terrorisme.
La
professeure Brigitte L. Nacos de l’Université de Columbia, dans son livre
Media and Terrorism, abonde dans le même sens. Selon elle, les terroristes sont
à la recherche de la publicité. Les médias, quant à eux, en perpétuelle chasse
au sensationnel. Les premiers conscients de leur utilité pour les seconds leur
livrent de la matière en produisant de
la violence, du sang, du sinistre, des massacres, de la désolation à chacun de
leur passage.
Toutes
choses qui ne peuvent les laisser indifférents. Car «plus l’acte est violent,
plus la couverture médiatique sera forte». Et donc une certaine concurrence
entre les médias. Concurrence qui conduit à la spéculation, au mensonge, au bâclage
des précautions élémentaires que tout journaliste doit prendre pour s’assurer
de la véracité de ce qu’il publiera et éviter ainsi le mensonge tel que décrit
si bien par Roland Jacquard dans son livre La Guerre du Mensonge, Histoire secrète
de la désinformation éd. Plon, 1986.
Nous ne ferons pas ici la revue de la littérature sur le terrorisme. Même si notre manière d’aborder le sujet le laisse croire. Nous nous contenterons d’analyser certains aspects de «l’attaque complexe», pour reprendre les termes du chef d’état-major général des Armées qui s’est rendu sur le terrain peu de temps après que la «situation (soit) sous contrôle» des Forces armées maliennes et de sécurité. Ensuite, nous tenterons d’expliquer selon notre propre compréhension et nos observations ce qui a pu faciliter la pénétration des terroristes jusqu’à deux centres d’importance du système sécuritaire malien.
CONTEXTE
ET OBJECTIFS- Le Mali a commémoré, il y a plus d’une semaine, la journée du 22
septembre 1960 qui rappelle aux descendants de nos héros épiques, historiques
et contemporains, l’accession à la souveraineté nationale et internationale de
cette terre de vieilles cultures. Le jour est, chaque année, attendu avec
impatience et par les citoyens et par les autorités du pays.
Les premiers le
marquent, la plupart du temps, par des réjouissances populaires qui culminent
par un défilé militaire qu’on regarde avec fierté et envie de faire partie des
hommes et femmes qui acceptent volontairement de se donner en sacrifice ultime
pour l’honneur et la dignité de leurs enfants et proches. À sa veille, la
retraite au flambeau (de plus en plus rare pour diverses raisons) mobilise la
jeunesse et des milliers de curieux sur l’ensemble du territoire national.
Les
seconds en profitent pour faire le bilan de l’année qui vient de s’écouler et
pour se projeter dans le futur proche. C’est un jour spécial, où toutes les
attentions sont braquées vers les autorités, qu’il faut entacher de sang et de
larmes en faisant porter le deuil à plusieurs familles habituellement sereines
et résilientes dans un contexte difficile mais prometteur.
En clair, l’attaque du 17 septembre 2024 à Bamako est non seulement terroriste, mais aussi fait partie d’une propagande, si l’on lui applique la définition de Jacques Ellul pour qui la propagande politique est «l’ensemble des méthodes utilisées par un groupe organisé en vue de faire participer activement ou passivement à son action, une masse d’individus psychologiquement unifiées par des manipulations psychologiques et encadrés dans une organisation». Jacques Ellul, Propagandes, 1990, p.75
FAIRE RÊVER
L’AFRIQUE- Par ailleurs, les festivités du premier anniversaire de la Confédération
des États du Sahel (AES) ont débuté le 16 septembre et se sont poursuivies aux
jours suivants. La fête de la Confédération est celle de l’espoir d’un
lendemain meilleur pour les quelque 70 millions de citoyens des trois pays.
Elle l’est également pour des milliers de panafricanistes de tout le contient
qui voient en la Confédération la réalisation d’une prophétie faite par les pères
des indépendances africaines.
Bref, dans les pays de l’AES, on rêve de faire rêver l’Afrique. De donner une nouvelle vue de celle-là. De la replacer dans la position qu’elle mérite dans le monde avec ses richesses minières, ses diversités culturelles. Sa géographie particulière, son histoire entachée de douleurs, mais aussi de luttes héroïques qui ont conduit à une certaine pseudo-indépendance politique à partir des années 1960.
Les
terroristes, à l’affût de la moindre faille et de la moindre distraction, ne
peuvent rêver de mieux pour se rappeler aux populations de l’AES peu de temps
après le massacre de Barsalogho (Burkina), le 24 août 2024.
Détourner
l’attention des communautés nationales des trois pays de ce qui se profile comme
le plus grand et le plus concret des projets panafricanistes de l’heure est très
sûrement visé. En effet, ces derniers temps, les médias nationaux et
internationaux ainsi que les réseaux socio-numériques sont tous braqués sur les
deux événements qui constituent, à n’en pas doute et à juste raison, les plus
dignes d’intérêt pour les journalistes. Non seulement des trois pays mais aussi
ceux des médias internationaux, en particulier occidentaux, qui suivent et
scrutent les faits et gestes des dirigeants de la Confédération.
Les terroristes se sont donc sentis sevrés de la publicité. Surtout que rien ne vient plus de Tinzawatène où, selon certaines sources, la grotte, dernier refuge des coalisés du mal, est verrouillée et surveillée comme du lait sur le feu par les forces des trois pays avec le Mali, le principal concerné en tête. En plus donc de s’attirer l’attention des médias, les forces du mal tenteraient ainsi de desserrer l’eau autour d’elles. Comment le faire ?
(Suite dans nos
prochaines parutions)
Gamer A. DICKO
Rédaction Lessor
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