
L’Essor : Les Assises nationales de la refondation devant définir les contours du Mali nouveau viennent de se tenir. Quelle part prendra votre département dans l’édification de ce Mali Kura ?
Alhamdou Ag Ilyene : Notre département, à l’instar de tout le gouvernement de la Transition, prendra toute sa part dans cette phase importante de refondation de notre pays. Le gouvernement de Transition a pour missions principales, la sécurisation des personnes et des biens et la réussite de la refondation de l’État du Mali en mettant en place des institutions fortes pour asseoir les bases d’une véritable démocratie durable.
Elle consiste à corriger toutes les erreurs du passé. Cela, en s’enrichissant des expériences vécues pour améliorer la gouvernance de façon définitive au Mali, éviter que notre pays ne retombe dans les crises multidimensionnelles comme celle que nous traversons péniblement aujourd’hui.
Les plus hautes autorités du pays nous ont confié la mise en œuvre de la conduite de la politique de l’État en faveur de nos compatriotes établis à l’extérieur et pour la promotion de l’intégration africaine. Les Assises nationales qui ont été un espace de dialogue entre les forces vives de la Nation malienne, ont vu une large participation de la diaspora au niveau national et des échanges ont eu lieu dans les juridictions de forte concentration de Maliens.
Les Assises nationales ont formulé des recommandations majeures sur la gestion des Maliens établis à l’extérieur telles que la création de la Banque d’investissement des Maliens établis à l’extérieur, la création d’une structure nationale pour capitaliser les acquis du programme Tokten. Mais aussi l’organisation des États généraux des Maliens de l’extérieur, le renforcement de la protection de nos compatriotes de l’extérieur, la création d’un cadre de concertation de la diaspora.
Je voudrais vous dire que ces chantiers étaient déjà ouverts à notre niveau et les Assises nationales viennent nous réconforter dans cette dynamique. Nous avons fait un diagnostic réel de la situation pour identifier les défis et réfléchir aux solutions éventuelles avec les parties prenantes. Je pense que c’est en cela que nous jouons notre rôle dans la refondation de l’État.
L’Essor : L’apport de la diaspora est très important dans le développement du Mali. Qu’allez-vous entreprendre pour rester dans cette dynamique et améliorer surtout les acquis ?
Alhamdou Ag Ilyene : Le Mali a une forte tradition migratoire qui remonte aux temps des grands empires. C’est un phénomène qui a connu des évolutions notoires ces trente dernières années à cause de la pression démographique, la montée du chômage des jeunes, les effets du changement climatique, le déficit de développement, l’insécurité et les problèmes de gouvernance. Notre pays dispose effectivement d’une diaspora dynamique qui contribue au processus du développement.
L’apport de nos compatriotes établis à l’extérieur se manifeste sous plusieurs formes. Il s’agit notamment des transferts de fonds importants qui sont autour de 530 milliards de Fcfa ces dernières années. Nous soulignons leur engagement dans la mise en place des infrastructures sociales de base dans les localités d’origine et les transferts des compétences à travers les intellectuels maliens établis à l’extérieur qui participent au renforcement des capacités des structures techniques de l’État, des PMI et PME. Je précise que les transferts de fonds de la diaspora sont largement supérieurs à l’aide publique au développement.
Pour accroitre l’intervention de la diaspora dans le processus du développement, nous avons entrepris plusieurs mesures telles que : la réalisation d’une étude sur l’état des lieux des mécanismes existant pour l’incitation de la diaspora pour l’investissement productif ; la réalisation d’une étude de faisabilité pour la mise en place d’un mécanisme adapté pour soutenir l’investissement productif de la diaspora ; le soutien aux initiatives de la diaspora à travers la Cellule technique de codéveloppement et avec l’appui de l’Union européenne et l’Agence française de développement (une cinquantaine de projets ont été financés dans ce cadre) ; l’assistance à nos compatriotes en situation de détresse (environ 7.000 personnes rapatriées en 2021).
S’y ajoutent l’appui aux projets d’insertion sociale des migrants de retour, ce qui a permis l’accompagnement de 7000 personnes en 2021 ; la construction d’un centre d’accueil des migrants à Kayes avec l’appui de l’Union européenne et bientôt un centre d’accueil des migrants à Gao également avec l’appui de nos partenaires italiens, compte tenu du rôle de Gao comme carrefour migratoire vers les pays du Maghreb et vers l’Europe ainsi que l’organisation de plusieurs ateliers de renforcement des capacités des acteurs impliqués dans la gestion des migrations.
L’Essor : Comment sont ressenties au niveau de votre département les sanctions infligées à notre pays depuis quelques semaines par l’Uemoa et la Cedeao ?
Alhamdou Ag Ilyene : Nous sommes le ministère chargé de l’Intégration africaine, donc le département qui gère la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Nous regrettons que nous soyons dans cette situation aujourd’hui. Mais les Maliens n’ont pas choisi d’être dans cette crise qui nous a été imposée par les événements. Sinon, les Maliens ont toujours été à l’avant-garde du combat pour la liberté, la démocratie et de l’intégration africaine. Les élections de 2018 ont engendré une crise politique et institutionnelle qui est venue s’ajouter à des défis sécuritaires majeurs.
C’est ce qui a amené une partie du peuple du Mali à se soulever pour finalement aboutir à un changement de régime par des voies qui ne sont pas celles prévues par les textes. Il est très important que la Cedeao et toute la communauté internationale tiennent compte des raisons de la crise malienne et de sa spécificité. Nous n’avons pas eu toute la compréhension souhaitée auprès de tous les partenaires. Nous travaillons à convaincre tous les frères africains pour pouvoir en sortir le plus tôt possible en mettant en avant les intérêts de notre peuple.
La question d’intégration africaine ne se joue pas seulement à l’extérieur du Mali, c’est à l’intérieur aussi. Nous avons des Maliens dans presque tous les pays du monde. Mais nous avons de nombreux Africains qui vivent aussi parmi nous réunis au sein de la Fédération des communautés africaines au Mali (Fecam) avec laquelle nous avons de très bonnes relations.
Nous venons d’organiser en novembre dernier le vingtième anniversaire de la Fecam qui s’est très bien passé. Donc, le peuple malien est très ouvert, et qui a des souches qui ont rayonné dans le monde entier. Nous partons chez les autres et tout le monde est le bienvenu chez nous.
Donc, ces communautés africaines sont là, bien organisées et travaillent en étroite collaboration avec le département. Leurs activités sont coordonnées par la Commission nationale à l’intégration africaine. Nous intervenons auprès de nos différentes autorités pour les aider à transcender leurs problèmes, dans le strict respect de nos textes et coutumes. Nous veillons dans ce contexte difficile à rassurer nos compatriotes établis à l’extérieur de l’engagement des hautes autorités de la Transition pour une sortie de crise rapide et nous les appelons au calme et à la retenue partout où ils se trouvent. Nous leur demandons également à ne pas céder à la provocation.
L’Essor : Quels sont les grands chantiers du ministère des Maliens établis à l’extérieur et de l’Intégration africaine ?
Alhamdou Ag Ilyene : Permettez que je rende un hommage mérité à mes prédécesseurs qui ont fait du bon travail. Nous avons déjà une Politique nationale de la migration (Ponam) qui est aujourd’hui une référence en matière de gouvernance de migration et fortement appréciée par la Cedeao, l’Union africaine et tous les autres partenaires internationaux.
La Ponam est la base fondamentale de nos actions et celles de nos partenaires internationaux en matière de migration. Donc la mise en œuvre efficace et efficiente de la Ponam qui contient l’ensemble des orientations stratégiques en matière de gouvernance de migration est l’un des chantiers majeurs du département.
Dans la même logique, le Mali s’est également doté d’une politique nationale en matière d’intégration africaine, qui met en lumière notre stratégie de promotion de l’intégration africaine, dont nous sommes fortement engagés dans la mise en œuvre également.
Pour le présent, nous sommes comme tout le gouvernement et tout le peuple malien dans l’esprit de la refondation. C’est-à-dire que tout ce qui était ancien sera passé au peigne fin et tout ce qui est bon sera retenu et amélioré. Tout ce qui n’est plus utile sera supprimé pour le remplacer par de nouvelles initiatives qui vont permettre au peuple malien d’améliorer sa gouvernance et stabiliser sa démocratie afin de continuer sur la voie du progrès.
En effet, la refondation, c’est de faire en sorte que les erreurs du passé soient corrigées pour mettre en place des reformes politiques institutionnelles nécessaires pour asseoir les bases d’un État fort et une démocratie durable dans un climat de paix, de développement et de bonne gouvernance. C’est pour cela que nous parlons de refondation qui touchera les textes fondamentaux du pays, les institutions, l’administration, la sécurité, la santé et naturellement la gestion des Maliens établis à l’extérieur. Tout sera revu profondément pour reconstruire un Mali nouveau dans tous les domaines y compris celui de la migration et de l’intégration africaine.
Dans ce cas précis, nous avons au niveau du département constaté des faiblesses. Il s’agit essentiellement de l’amélioration de la gestion des Maliens établis à l’extérieur. Nous avons constaté malheureusement que nos compatriotes établis à l’extérieur ne sont pas suffisamment au centre de leur propre gestion.
Cela se faisait par les canaux qui doivent être améliorés. C’est pour cela que nous avons commencé par définir le statut des Maliens établis à l’extérieur et du migrant de retour. C’est dans ce sens que le gouvernement a adopté le 13 septembre 2021, un décret qui fixe le statut de Maliens établis à l’extérieur et du migrant de retour de façon précise. Tout le monde ne peut pas être Malien établi à l’extérieur, il faut répondre aux critères évoqués dans ce décret.
Par ailleurs, nous n’avons pas une totale satisfaction des associations des Maliens de l’extérieur qui existent aujourd’hui. Elles ont certes fait du bon travail par le passé, mais leur fonctionnement nécessite d’être revu et amélioré. Nous constatons beaucoup de divisions malheureusement au sein de la gestion des Maliens de l’extérieur. Divisions qui se ressentent à tous les niveaux y compris dans les institutions de la République où ces associations sont censées s’unir pour défendre les intérêts de nos compatriotes établis à l’extérieur.
Nous travaillons à la mise en place d’une nouvelle organisation qui permettra d’abord aux vrais Maliens de l’extérieur, et à eux seulement, d’être dans cette structure relevant du statut des Maliens établis à l’extérieur. Mais aussi de permettre à cette association d’améliorer la qualité de vie des Maliens établis à l’extérieur par le renforcement de leur assistance et protection. Il faut que les Maliens établis à l’extérieur reviennent au centre de la gestion de leurs affaires. C’est à cela que nous travaillons. Nos réformes qui s’inscrivent en droite ligne de la refondation ne sont malheureusement, pas acceptées par tout le monde, mais nous travaillons à les expliquer pour réussir la refondation avec tous.
En ce qui concerne l’assistance aux migrants, nous apportons avec nos partenaires à toutes les étapes de leurs nombreuses activités. En 2021, nous avons rapatrié et réinséré environ 7.000 migrants. Nous recevons chaque semaine en moyenne 150 migrants rapatriés. Nous sommes un peu handicapés par la fermeture des frontières avec certains pays voisins par lesquels ils transitent au retour. Mais nous allons négocier avec les autorités pour avoir des couloirs humanitaires qui permettent la continuation de ces rapatriements.
Quand ils sont rapatriés, ces compatriotes sont suivis par le département et ses partenaires. Ils sont accueillis, soignés, réinsérés, remis en forme physiquement. Parce qu’ils ont besoin d’un accompagnement psychologique. Puis, ils sont soutenus pour retourner dans leurs villages où on leur finance des petits projets pour leur permettre de reprendre la main économiquement et de pouvoir avoir des revenus pour vivre.
Nous avons aussi des chantiers permanents. Bientôt, la Maison des Maliens de l’extérieur aura un statut qui lui permettra de bien fonctionner. Nous avons aussi le Tokten qui est un programme d’échanges qui était cofinancé entre le Mali et le Pnud depuis 20 ans. Nous travaillons pour que le Pnud, qui a arrêté son financement, nous revienne. C’est un programme qui a eu des résultats tangibles. Je me réjouis de constater que les Assises nationales de la refondation ont reconduit ce programme qui nous a permis de faire passer une trentaine de thèses. Et nous avons une dizaine en cours d’achèvement.
Ainsi, ce sont des professeurs maliens qui sont dans des universités à l’extérieur et qui interviennent dans des domaines dont nous n’avons pas suffisamment de spécialistes au Mali. Donc, ils viennent ici en appui dans le cadre de ce projet. Pendant leurs missions au Mali, ils sont totalement pris en charge par le département.
Nous avons réalisé des missions de prise de contact et d’assistance dans certains pays à forte concentration de Maliens tels que la Côte d’Ivoire, le Congo, la République démocratique du Congo, le Cameroun et le Gabon. Ces missions avaient pour objet de s’imprégner des difficultés auxquelles nos compatriotes sont confrontés afin d’apporter des solutions idoines. Dans le cadre de l’assistance des Maliens établis à l’extérieur, nous avons remis des enveloppes symboliques au nom du gouvernement du Mali à la communauté malienne en situation de détresse suite à la Covid-19, à toutes les étapes de la mission.
Le gouvernement, pour faciliter la vie de nos compatriotes à l’extérieur et l’obtention des pièces d’état civil, et pour être au même niveau que les autres États membres de la Cedeao, a opté pour la carte d’identité biométrique. La carte Nina ne va plus être de mise, mais le numéro Nina va demeurer. C’est-à-dire que sur cette future carte biométrique Cedeao, ce sont des numéros Nina qu’on va mettre. Mais, la carte Nina elle-même n’aura plus d’utilité dès que la carte biométrique de la Cedeao sera mise en circulation. C’est une précision de taille qu’il faudrait que les gens comprennent.
Il y a beaucoup de personnes de la diaspora qui, à cause des erreurs de saisie, souffrent de ne plus avoir leurs passeports. Tout cela est en train d’être corrigé. Le ministère des Maliens établis à l’extérieur et d’autres départements travaillent pour ouvrir un canal de rectification des identités avec des fiches qui ont été envoyées à toutes les missions diplomatiques et consulaires. Celles-ci doivent envoyer au département de tutelle les dossiers des personnes pour corrections.
En conclusion, je voulais dire que certes les défis sont immenses dans un contexte difficile, mais notre volonté ne fait aucun défaut et nous travaillons tous les jours à créer des conditions favorables pour la protection et la mobilisation de nos compatriotes établis à l’extérieur et pour la promotion de l’intégration africaine.
Propos recueillis par
Massa SIDIBÉ
Massa SIDIBE
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