
Le Président Goïta (g) et ses homologues du Niger et du Burkina Faso lors du sommet constitutif de la Confédération AES, le 6 juillet 2024 à Niamey
L’exit du Mali de la Cedeao, ce «CEDEXIT»
aussi est pour de bon, selon la forte décision des autorités de nos états
annoncée de commun accord, il y a un an, le 28 janvier 2024 et du vœu d’une
grande majorité du peuple confédéral. Ce dernier s’est mis en marche, au pas
d’une devise désormais chevillée à son corps et collée à son cœur : un
peuple, un espace, un destin.
La Cedeao, créée sur les cendres de la CEAO
fortement inspirée par le Mali à l’époque, avec une bonne foi des fondateurs,
deviendra au fil des années cette institution politique régionale entre les
mains des seuls Chefs d’état, dans un imaginaire collectif étriqué, construit
par les médias officiels au rythme des sommets des Chefs d’État, des
conférences des ministres, des réunions des corps d’experts.
La Cedeao
était ainsi regardée par les peuples, de loin, depuis sa création, en 1975, par
des pères fondateurs à majorité militaire à la tête de leurs états, jusqu’à ce
qu’elle s’attaque à «ces» Peuples. Qu’elle a eu du mal à transformer en « ses »
peuples. Elle avait précédé la Covid-19 en termes de politique de
distanciation. Et c’est cela qui a accéléré sa perte. Oui, jusqu’à ce qu’elle
s’attaque aux Peuples, à travers ses embargos sauvages et dévastateurs, non pas
contre les régimes politiques des pays visés mais directement contre des
populations innocentes.
Les embargos contre le Mali et le Niger ont fini de
sonner le glas de cette organisation. Car elle s’est attaquée à ceux qui
étaient censés être ses inspirateurs, ses propriétaires, ses
actionnaires : les peuples. Ces derniers n’ont jamais été aussi confortés
dans leur vision floue sur l’institution, vision toujours criée mais jamais
entendue. En voulant atteindre les régimes qu’elle refusait de reconnaitre, la
Cedeao a attaqué ses citoyens dans leurs droits fondamentaux, ceux à la vie par
l’accès à la nourriture et aux médicaments surtout, causant la mort de bébés,
de vielles personnes et même de personnes valides.
Les sanctions illégales,
illégitimes, iniques ciblant états et populations ont fini par sonner l’hallali
pour celle qui était la fille aimée de l’Union africaine, celle qui était la
communauté économique régionale championne et bonne élève au-delà du continent,
vantée par l’ONU, l’Union européenne et la très glorieuse et fictive communauté
internationale.
C’est
cette Cedeao que le camp du «oui pour l’exit» a enterrée. Celle que le camp du
«contre l’exit» défend est plus idéalisée. Là on met en avant l’organisation
nourricière, celle qui va nous interconnecter, nous intégrer à travers la libre
circulation des personnes et des biens, celle d’un marché commun à travers le
tarif extérieur commun, celle de la Banque d’Investissement et de Développement
de la Cedeao (BIDC) et ses financements, celle qui défend les valeurs
démocratiques. Celle qui exècre les coups d’États militaires mais adoube, sinon
promeut les coups d’état civils.
On ne reviendra pas sur le contraste du
résultat avec les tracasseries chroniques aux frontières des états membres dont
sont victimes les populations les plus nombreuses à circuler, c’est-à-dire par
la voie routière, malgré carte d’identité, passeport et laisser passer
estampillés Cedeao. Quid du faible taux de construction d’infrastructures tels
que les rails ou les autoroutes pour évoquer le faible bilan d’une organisation
qui se plait plutôt dans l’habit du gendarme de la démocratie, du gardien des
intérêts étrangers, du cheval de Troie de l’impérialisme outre atlantique et
autres, au lieu de l’intérêt général, celui des Peuples. Nous sommes loin de
l’enthousiasme affiché par le chef de la délégation malienne au retour du
sommet constitutif en mai 1975, des propos d’espoir du président ivoirien Felix
Houphouët Boigny et ses pairs qui se voyaient «capables de voir loin et de
faire grand».
SANCTIONS
INIQUES. Pour la passe difficile actuelle, on rappellera trois fautes, pourquoi
pas trois péchés originels qui lui valent de vivre ces instants fatidiques de
désintégration, de désagrégation par la sortie de trois pays membres fondateurs
et majeurs que sont le Mali, le Burkina Faso et le Niger. La
première faute réside dans le cœur de son premier succès aujourd’hui encore
vanté : la capture du président libérien Samuel Kayon Doe dans le bureau
du chef de la Brigade de surveillance du cessez-le-feu de la Cedeao (Ecomog),
alors que cette structure d’interposition pour la paix dans le conflit
fratricide libérien est toujours vantée comme une action éclatante dans le
bilan de l’organisation.
On ne
dédouanera pas le premier descendant d’autochtone à devenir président de ce
pays du bain de sang qui avait marqué sa prise de pouvoir quelques années
plutôt. Cette fin de règne dans un presque traquenard, dans son QG, a sali son
image à l’opération de maintien de paix inédite jusque-là pour la sous-région.
Dans le contexte de l’époque, les opinions ouest-africaines étaient guidées par
le récit des médias audiovisuels mainstream encadré par les chancelleries des
pays d’appartenance. Si l’on replonge dans cette histoire sombre libérienne,
l’on se posera bien de questions sur la part de la Cedeao et de sa force dans
la fin tragique du leader libérien dont d’aucuns continuent à penser qu’il a
été livré à ses rivaux par les représentants de l’organisation sous régionale
censée s’interposer et ramener la paix, par le dialogue et la justice.
Véritable faux départ, potentiel péché originel.
Et
pourtant cette intervention au Libéria sera par la suite badigeonnée comme le
bon départ de toute une philosophie de maintien de la paix, de sauvegarde de la
démocratie et d‘intégration régionale. Elle inspirera toute l’architecture
politique et sécuritaire de la Cedeao à travers ses instruments dont le Traité
de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest, (28 mai 1975),
le Protocole sur la libre circulation des Personnes et des Biens, le Droit de
résidence et d’établissement (1979), le Traité Révisé de la Communauté
économique des états de l’Afrique de l’Ouest, (24 juillet 1993), le Protocole
relatif au mécanisme de Prévention, de gestion, de règlement des conflits, de
maintien de la Paix et de la sécurité, (10 décembre 1999), etc. On dira tout ça
pour finir par voir trois états s’en aller? On ne passera pas sous silence la
bonne foi et l’engagement démocratique du Mali lors de sa seule présidence
(bizarre, non), entre 1999 et 2001, dans l’histoire de l’organisation, avec
beaucoup d’entrain à asseoir les fondamentaux de la bonne gouvernance.
La
deuxième faute de la Cedeao, c’est l’inertie de l’organisation régionale face à
l’émergence d’une poudrière au Sahel. Des différentes rébellions au Mali et au
Niger entre 1990 à ce jour, on ne trouvera pas d’éléments probants de son
intervention. La Cedeao a regardé de loin un brasier sous ses pieds. Or, ces
rebellions ont été des déclencheurs de crises politiques majeures d’envergure
nationale dans ces pays et ont fini d’installer l’état d’insurrection
terroriste qui va aujourd’hui au-delà des frontières sahéliennes. Curieusement,
sur ces situations, elle a toujours laissé le terrain à l’ONU et aux puissances
occidentales, se contentant d’un attentisme et d’un suivisme fort remarquables.
Sa promptitude n’est mesurable que sur les crises politiques et
institutionnelles, à forte dose de menaces et d’intimidation.
La
troisième faute, c’est l’embargo inique imposé à notre pays, surtout aux populations,
en janvier 2022 et plus tard, au Niger et à ses populations en août 2023.
C’était la faute de trop. Visiblement la Cedeao n’avait pas tiré les leçons de
sa mauvaise gestion de la crise malienne de 2002, la crise politique au Mali
suite aux élections législatives d’avril 2020, la crise politique guinéenne qui
a abouti aux évènements de septembre 2021, etc. Les évènements politiques au
Mali en août 2020 et mai 2021, au Burkina Faso en janvier et septembre 2022 ne
lui ont pas permis de rectifier le tir, encore moins la trajectoire suicidaire
qu’elle a prise.
La somme
de ces fautes sur plus de 30 ans vaut à la Cedeao ce bilan désastreux en 2025.
Le retrait du Mali, du Burkina Faso, du Niger et leur union dans la
Confédération des états du Sahel redessine la carte politique de l’Afrique de
l’Ouest et impose à la Cedeao de porter une nouvelle paire de lunettes pour
comprendre les nouveaux paradigmes géopolitiques. Il reste à
nos concitoyens de croire désormais en la force de l’AES qui ne vient pas
déplacer les falaises de Bandiagara, le Mont Agou et tout le massif de
l’Atakora, le désert du Ténéré ou encore la lagune Ebrié. L’Afrique de l’Ouest
géographique et sociale reste intacte avec les mêmes populations qui sont
interconnectées depuis des siècles.
La création de la Cedeao en 1975 ne nous a
pas valu une confédération ou une fédération, n’a pas effacé les relations
bilatérales entre les différents États membres avec échanges d’ambassadeurs
jusqu’à ce jour mais a engendré simplement une organisation politique devenue
la grenouille voulant se faire plus grosse qu’un bœuf. Qu’on le veuille ou pas,
l’organisation a été déroutée de sa voie initiale, prise en otage par des
sponsors internationaux qui lui ont imprimé une vocation qui les arrange au
point d’être déconnectée des réalités des populations qu’elle était censée
défendre. Elle en récolte les conséquences.
L’AES à trois ou à plusieurs pourra jouer ce rôle fédérateur et économique de départ que vouaient les pères fondateurs à la Cedeao. L’AES suit son chemin désormais, mue par les aspirations de ses populations pour qu’elle demeure une AES des peuples, une organisation viable, efficace et fabriquant de bien-être individuel et collectif. C’est tout ce qu’on demandait à la Cedeao pour que cet EXIT retentissant ne soit pas. Hélas, il est ! Et le ciel ne tombera pas sur nos têtes, la vie continuera de plus belle, dans notre beau Sahel.
Alassane Souleymane
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