
L’Essor : Que retenez-vous
du discours prononcé, samedi dernier à la tribune de l’Onu, par le Premier
ministre par intérim, le colonel Abdoulaye Maïga ?
Moussa Ag Acharatoumane :
J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt le discours du Premier ministre par intérim
à la tribune des Nations unies. Je suis heureux que le gouvernement ait
réaffirmé son engagement à mettre en œuvre l’Accord pour la paix et la
réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, à rétablir l’ordre
constitutionnel et à faire face aux multiples crises auxquelles le pays est
confronté.
Le Premier ministre par
intérim aurait dû soutenir les aspirations du continent africain, exprimées par
le président de l’Union africaine, à réformer le Conseil de sécurité en
fonction de l’évolution mondiale, afin que le continent puisse participer
pleinement au progrès du monde.
Aussi, le Premier ministre
par intérim aurait dû profiter de cette tribune pour exprimer la compassion du
gouvernement aux familles des centaines de morts au Nord et au centre tués par
des extrémistes et solliciter l’accompagnement de la communauté internationale
pour faire face à la grave crise humanitaire qui touche nos populations.
Enfin, vu la situation de notre pays, nous devons prôner l’apaisement avec nos voisins immédiats, car c’est ensemble qu’on va relever le défi sécuritaire qui touche nos espaces communs.
L’Essor : Quelles sont les
possibilités de conjuguer les efforts entre les FAMa et les groupes signataires
de l’Accord pour faire face à l’État islamique?
Moussa Ag Acharatoumane :
Aujourd’hui, vu la situation qui prévaut à Ménaka et Gao, je pense qu’on ne
peut pas se dispenser d’amener les Forces de défense et de sécurité et les
mouvements signataires à conjuguer leurs efforts contre Daech. Daech est une
organisation qui combat tout le monde, les Forces armées maliennes (FAMa), les
mouvements signataires, les populations locales et même les partenaires
internationaux. Donc, aujourd’hui, nous n’avons d’autre choix que de nous
mettre ensemble pour faire face à ce “monstre”. Parce que Daech, c’est un véritable “monstre”, malheureusement
qu’ici les gens n’ont pas pris encore l’ampleur de la gravité de la situation
et de la menace qui est en face. Cette menace est inédite.
L’Essor : Quels sont les
obstacles à une telle unité d’action et quelle solution pour y arriver ?
Moussa Ag Acharatoumane : Le
fait que la mise en œuvre de l’Accord tarde à avancer, je pense que c’est l’un
des obstacles malheureusement qui fait qu’il n’y a pas d’unité d’action par
rapport aux menaces sécuritaires que le pays vit. C’est pour cela qu’il est
extrêmement important que les autorités de la Transition essayent d’accélérer
la mise en œuvre de l’Accord, notamment suite aux décisions de la dernière
réunion décisionnelle tenue à Bamako.
Cette réunion prévoit l’intégration de
13.000 éléments issus des mouvements au sein des Forces de défense et de sécurité.
Compte tenu de la gravité de la situation sécuritaire, les autorités doivent
faire en sorte d’avancer sur ce point. Cela va permettre à ce qu’on puisse
recréer la confiance entre toutes les parties. C’est la seule solution pour
avancer, parce que sans confiance, c’est extrêmement difficile. Ménaka est une
exception. Les Forces de défense et de sécurité et les mouvements signataires,
notamment le MSA, le Gatia et la CMA ont, de 2016 à maintenant, toujours
conjugué leurs efforts pour sécuriser la localité.
La crise aussi ne peut être
résolue par la seule option militaire. Il faut que l’administration joue
pleinement son rôle en ramenant les services sociaux de base auprès des
populations; que des initiatives soient prises pour aider à réconcilier les
communautés en les aidant à surmonter les problèmes inter et
intra-communautaires.
Ces régions sont dans un sous-développement qui ne peut
qu’être bénéfique aux organisations criminelles, car elles ont en face d’elles
une jeunesse qui n’a pas beaucoup de perspectives. Nous avons aussi des
frontières souvent tracées en divisant des familles, des tribus, des
communautés. De ce fait, nos États ne peuvent plus faire l’économie d’une
collaboration renforcée pour mieux servir leurs populations des deux côtés de
la frontière en tenant compte de ces réalités.
L’Essor : Quelle est la
situation humanitaire dans la zone de Ménaka?
Moussa Ag Acharatoumane : Situation
humanitaire très difficile, je dirais même dramatique. Parce qu’aujourd’hui,
sur les six cercles que compte Ménaka, il n’y a plus que la ville de Ménaka,
dans laquelle il y a des milliers de populations qui s’entassent. Des femmes,
des enfants, des vieillards, des populations qui sont aussi venus les bras
vides et n’ont absolument rien. Aujourd’hui, dans la Région de Ménaka
pratiquement toutes les communes, tous les cercles se sont vidés de leurs
populations.
Les populations se réfugient dans la ville de Ménaka, ou vont vers
la Région de Kidal, l’Algérie ou le Niger. C’est une situation humanitaire extrêmement
difficile. Je lance un appel pressant et urgent aux autorités, à tous les
partenaires humanitaires internationaux qui sont présents chez nous pour venir
en aide à ces populations en détresse surtout avec la saison des pluies et des
maladies qui commencent à apparaître. Il faut un plan de riposte spécial pour
cette région afin de venir en aide à ces populations sur le plan humanitaire.
L’Essor : Y a-t-il
actuellement une interaction entre votre Mouvement et les FAMa ?
Moussa Ag Acharatoumane : À Ménaka,
oui. Nous travaillons ensemble. Nous coordonnons nos actions, échangeons des
informations et sécurisons Ménaka ville ensemble. Notre souhait, c’est qu’on
puisse aller au-delà de Ménaka. Il est important de sécuriser des villes comme
Anderamboukane et d’autres cercles dans la région pour permettre aux
populations de revenir chez elles. Parce qu’au fait, la vraie solution dans
toute cette histoire, c’est de sécuriser ces zones-là pour permettre à ces
populations de retourner chez elles.
C’est cela leur demande fondamentale et c’est ça aussi, je pense, la solution.
L’Essor : Quels sont les
résultats de votre unité d’action avec les Forces de défense et de
sécurité ?
Moussa Ag Acharatoumane :
Aujourd’hui, malheureusement la situation sécuritaire s’est beaucoup dégradée
malgré le fait que les mouvements et les FAMa travaillent ensemble à Ménaka.
Cela n’a pas empêché, en tout cas, que les 2/3 de la région tombent sous
influence de Daech qui ne reste pas forcément dans les villes et dans les
villages, mais qui vient, créer le chaos et se retire. Je pense qu’il faut repenser toutes les stratégies
antérieures pour les adapter à la menace du moment. Mais, ce qui est important
à retenir, cette mission va être difficile pour les FAMa seules et les
mouvements à eux seuls. Tous ces gens doivent conjuguer leurs efforts pour
faire face à la menace.
Mais, il y a quelque chose
aussi qui est important. Nous sommes dans une zone frontalière avec le Niger et
le Burkina Faso. Il faut absolument que les autorités relancent la coopération
transfrontalière sur le plan sécuritaire avec ces deux États. Parce que les
Nigériens ont beau travailler, ils déplacent juste la menace au Mali. Les
Maliens ont beau faire des efforts, ils déplacent juste la menace vers le Niger
ou vers le Burkina. Il faut qu’il y ait une conjugaison d’efforts pour venir à
bout de cette menace-là. Les Maliens seuls ne peuvent pas y arriver. C’est la
même chose pour les pays voisins.
L’Essor : Quel genre de
menace l’État islamique représente-t-il ?
Moussa Ag Acharatoumane :
Une menace gravissime, parce que du 8 mars à nos jours, malheureusement dans
cette zone, il y a eu presque 1.000 civils qui ont été tués par Daech. Il
vient, il tue systématiquement les populations civiles. C’est cela qui rend le
combat contre Daech extrêmement compliqué, difficile. Ils ne font pas de
différence entre les femmes, les enfants, les vieillards. En plus, ils
détruisent toute l’économie locale. Ils brûlent les marchés, les villages,
prennent tous les biens des populations et le bétail. Comme vous le savez,
l’économie de ces zones repose essentiellement sur l’élevage.
Les animaux des
populations sont systématiquement volés dans ces zones-là. Et ce sont des
animaux qu’on revend par la suite sur des marchés du Niger, du Nigeria, du
Togo, du Bénin, etc. Et ces animaux rapportent beaucoup d’argent à Daech.
Peut-être que les gens ne s’en rendent pas compte, mais à travers ces vols
d’animaux, Daech est en train de faire une masse financière sans précédent. Il
faut que les dispositions idoines soient prises entre les différents États pour
mettre fin à cette économie criminelle.
Dans certains pays, je sais que des
efforts sont en cours, mais il faut une collaboration à un plus haut niveau
entre nos États pour stopper cette machine qui génère beaucoup d’argent sale.
Daech est une menace à tout point de vue qui est en train de déstructurer nos
sociétés, d’occuper notre espace, de bousculer nos populations, d’opposer nos
communautés, d’entretenir une guerre civile. Car sa stratégie est de créer le
chaos. C’est seulement dans le chaos que Daesh existe, c’est quelque chose à
prendre au sérieux et à regarder de très près.
L’Essor : La mise en œuvre de l’Accord connaît quelques difficultés. Qu’est-ce qu’il faut aujourd’hui pour relancer le processus de paix ?
Moussa Ag Acharatoumane :
Effectivement, cela fait pratiquement six mois que le processus était
malheureusement bloqué à cause des incompréhensions entre les parties
signataires. L’espoir est revenu depuis la réunion décisionnelle que nous avons
tenue à Bamako. Des annonces et des engagements ont été pris.
Je pense qu’on peut s’attendre à ce que, dans les jours à venir, l’Accord retrouve un nouveau souffle et peut-être avancer un peu plus. Cet accord fait partie du processus de refondation de notre pays. Le Mali ne peut plus se dispenser d’une nouvelle forme de gouvernance qui va s’adapter aux réalités du moment car nous sommes une société en pleine mutation, ce qui a prévalu il y a 60, ne l’est plus aujourd’hui.
Propos recueillis par
Massa SIDIBÉ
Massa SIDIBE
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