Interdits sociaux : Un instrument d’équilibre social

Dans la cosmogonie africaine, il est difficile d’échapper à l’emprise des interdits sociaux. Quel que soit votre statut, votre rang ou votre place dans la société, il est impératif de respecter certaines règles établies pour maintenir l’équilibre social

Publié lundi 16 juin 2025 à 07:44
Interdits sociaux : Un instrument d’équilibre social

Une mère déconseille à son fils d’épouser une jeune fille. Le garçon transgresse cet interdit. Quinze ans après leur mariage, le couple n’a toujours pas d’enfant. Rapidement, la société attribue cette situation aux conséquences de l’interdit violé. Au cours d’une discussion sur ce sujet, un sociologue chevronné soutient que, depuis des siècles, au Mali, les communautés, les rites et la culture s’articulent autour d’un ensemble d’interdits sociaux codifiés par la tradition. Ces interdits, qui régulent le fonctionnement de la communauté, sont profondément ancrés dans les croyances et les comportements. Ils sont perçus comme un héritage de valeurs sacrées transmis par les ancêtres.

De Kayes à Kidal, dans les vestibules des villages du Mandé ou sous les tentes accueillantes des arabes de Tombouctou, une réalité frappe tout visiteur attentif. Cette réalité, héritée des us et coutumes transmise de génération en génération, a été instaurée par les ancêtres pour garantir l’équilibre et la cohésion sociale. Ces règles non écrites servent de boussole à l’Homme malien dans ses rapports avec autrui et avec la nature. Parmi ces interdits, on peut citer : «parler la bouche pleine», «fixer un aîné dans les yeux lorsqu’on lui parle», «traîner dans la rue au crépuscule», «enjamber son époux», «balayer la nuit», «répondre depuis les toilettes», entre autres.

Ces interdits varient, selon les communautés ou les aires culturelles, expliquant pourquoi certains actes sont autorisés dans certaines régions et proscrits da
ns d’autres. Ils sont dictés par les ethnies ou les contextes culturels. Ainsi, ce qui est absolument interdit chez les Dogons, les Minianka, les Bwa ou les Soninké peut être toléré par d’autres communautés. Il est même fréquent que des interdits soient spécifiques à une famille, un clan, une tribu, un village ou une ville.

 

UN REGARD UNIVERSITAIRE- Selon le psychologue Pr Mohamed Tounkara, enseignant à l’École normale supérieure (ENSup), les interdits agissent comme des signaux d’alerte pour empêcher quiconque de dépasser ses droits et de provoquer un chaos comportemental. Il mentionne, par exemple, «la consommation d’œufs de poule par les enfants», «le coït entre un homme et une femme dans la brousse en milieu Bwa», «le bain corporel au crépuscule pour une femme enceinte» ou encore «la consommation de viande de rat par une femme enceinte».

L’universitaire affirme que les interdits jouent un rôle de garde-fous pour préserver les valeurs morales de la société. «L’un des avantages des interdits est de protéger la société et ses acquis, tout en assurant un équilibre ou une cohésion sociale, ainsi que le respect des normes et des valeurs», explique-t-il. Poursuivant son analyse, Pr Tounkara considère certains interdits comme des astuces visant à prévenir des abus, plutôt que comme des prescriptions sacrées. À propos de l’interdiction de consommer des œufs pour les enfants, il précise : « Faire croire aux enfants qu’ils ne doivent pas manger d’œufs de poule vise simplement à permettre aux poules d’élever leurs poussins. Les anciens ont imaginé cette règle pour freiner la voracité des enfants et donner le temps aux œufs d’éclore.»

Mais que se passe-t-il lorsqu’un interdit est violé? L’enseignant-chercheur souligne que des sanctions sont souvent appliquées. Par exemple, «dans le cas d’un coït dans la brousse en milieu Bwa, les fautifs sont publiquement punis lors de la foire du village». Il ajoute : «Les coupables peuvent être contraints d’apporter un bouc ou une chèvre, que les sacrificateurs égorgeront pour en extraire la graisse. Cette graisse est fondue sur un feu, puis le liquide brûlant est versé sur les parties intimes des deux responsables». Selon Tounkara, cette pratique vise à apaiser les «dieux» de la brousse ou de la nature, offensés par cet acte, et à purifier la nature souillée. «Sans cela, les Bwa craignent que l’hivernage soit marqué par de mauvais augures et une faible pluviométrie», précise-t-il.

 

UNE CONSTRUCTION HUMAINE- Peut-on retracer l’origine exacte de nombreux interdits qui rythment la vie sociale malienne ? Pour le Dr Fodé Moussa Sidibé, enseignant-chercheur et traditionaliste, les interdits naissent de l’observation des habitudes sociales. En tant qu’observateurs et gardiens de la cohésion sociale, les ancêtres ont pris l’habitude d’interdire toute attitude jugée nuisible à l’harmonie du vivre-ensemble. «Tous les interdits ont été institués en fonction des expériences de vie de la communauté, dans le but de maintenir le vivre-ensemble et de tisser des liens entre les individus», révèle-t-il.

Selon lui, les interdits ont des conséquences, directes ou indirectes, que l’on y croie ou non. «Lorsqu’on dit que quelque chose est interdit, les gens demandent souvent pourquoi. Mais, dans bien des cas, on ne répond pas, car ce sont des lois non écrites auxquelles on doit se conformer pour être un membre à part entière de la société», explique-t-il. Dr Sidibé ajoute que les interdits ont également un rôle positif, notamment dans la préservation de la faune et de la flore. «Lorsqu’une espèce végétale ou animale est abondante, mais que les ancêtres estiment qu’elle est surexploitée, ils instaurent un interdit pour la protéger et éviter son extinction», précise-t-il.

Pour lui, l’abandon progressif de nombreux interdits explique certains maux actuels de la société malienne, comme la délinquance ou les dérives liées à la sexualité. «Un exemple simple : autrefois, un garçon qui déflorait une fille devait quitter le village pour toujours, car il avait enfreint un interdit. Des sanctions sévères permettaient de réguler la société», estime-t-il. Selon Dr Sidibé, les interdits favorisent la connaissance de soi et le respect d’autrui. «Quand on sort de chez soi, on doit respecter des interdits liés à son statut social», conclut-il.

Le griot Sékou Diabaté défend les bienfaits des interdits sociaux. Selon lui, au Mali, ces interdits vont jusqu’à protéger les droits des animaux. «Par exemple, il est interdit de chasser à une période correspondant à la reproduction de certaines espèces. Ce principe s’applique aussi à la pêche», explique le communicateur traditionnel. Il plaide pour une campagne de sensibilisation auprès des jeunes sur les interdits sociaux, dans le cadre d’une éducation aux valeurs qui fait cruellement défaut à la jeunesse actuelle. 

Sinè TRAORE

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