Fleuves et cours d’eau : Les poissons se cachent pour mourir

La pêche est de moins en moins rentable à cause de la rareté des poissons dans nos fleuves et cours d’eau. Une situation qui s’explique en grande partie par la suractivité humaine et le changement climatique. Un coup dur pour ce secteur vital de l’économie nationale

Publié vendredi 20 décembre 2024 à 07:47
Fleuves et cours d’eau : Les poissons se cachent pour mourir

La pêche est l’un des piliers de notre économie

 

 

Bamako, lundi 16 décembre. Il est 7 heures du matin, le thermomètre affiche déjà les 19°C. Devant la façade d’un hôtel de la place, côté berges du fleuve. La place est réputée être à la fois un débarcadère et un marché aux poissons de la capitale. Le visiteur est accueilli par les odeurs de poissons pourris, des tas d’écailles et autres déchets de poissons. Le tout agrémenté par des mouches et les cris et interpellations de mareyeuses qui sentent toutes le parfum du poisson.

Nana Thiéro est justement une mareyeuse. Assise sous un parasol faisant face à sa table débordant de fretins (tinèni en bambara), la bonne dame de corpulence robuste accompagnée de sa fille, la trentaine, hèle les clients. «Je ne connais que ce métier. Depuis mes sept ans, je tirais le filet avec mes parents à Markala pour capturer des poissons.

Aujourd’hui, Dieu m’a confié cette activité commerciale dans laquelle je gagne bien ma vie», raconte celle qui pratique ce métier, depuis plus d’une cinquantaine d’années. L’arrivée des caisses de poissons égaie la conversation, car reconnaît notre interlocutrice, le poisson se fait rare dans nos fleuves et cours d’eau, obligeant les pêcheurs à partir de plus en plus loin. «Les rares poissons qu’on trouvait ne suffisaient pas à couvrir la demande», confie la vieille dame.

En 1972, le premier inventaire effectué sur les poissons par notre pays recensait 137 espèces dans les cours d’eau. De nos jours, l’on ne compte que 60 espèces, selon des données de la direction nationale de la pêche. Le fleuve Niger, le Bani, le Sankarani et le Falemé figurent parmi les pêcheries les plus connues. 17 espèces sont rares à trouver dans les captures. 22 sont totalement menacées, et peuvent disparaître du jour au lendemain.

Au passage, en plus de la rareté, Nana Thiéro déplore le fait que les prises soient de plus en plus de petites tailles, ce qui n’incite pas à exporter. A ses dires, la majorité de ses poissons proviennent de Mopti, Ségou, Niono, Gao mais aussi de Kona, Manantali et Diafarabè. Dans chacune de ces zones, elle se fait livrer par des pêcheurs.

Son inquiétude est corroborée par Yacouba Tounkara, un pêcheur rencontré sur les berges du fleuve Niger à Djicoroni-Para. Celui qui pratique ce métier depuis des années est triste de constater les mauvaises pratiques de pêche. Selon lui, même les plus petits poissons sont capturés aujourd’hui. Il suggère de sanctionner tous les pêcheurs qui font cette pratique malsaine. Les acteurs de la pêche déplorent la surpêche. Pour eux, la faute incombe en premier lieux aux équipements et engins de plus en plus sophistiqués utilisés par des pêcheurs comme les pirogues à moteur ou des filets. Il y a aussi les faiblesses de la loi.

«La loi exige que toute capture non étudiée doit être remise à l’eau. De 1960 jusqu’aux années 1990, il n’y avait qu’un seul code pour la gestion de la pêche. La pêche était ouverte de juillet à septembre. Il fallait ensuite respecter les périodes de reproduction des poissons. Aujourd’hui, tout le monde pêche dans les cours d’eau durant les douze mois de l’année, ce qui tue la ressource. D’autres mettent même des substances chimiques ou électriques pour pouvoir pêcher», dénonce-t-on à la direction nationale de la pêche.

 

22 ESPÈCES MENACÉES- En 2023, près de 125.000 tonnes de poissons ont été capturées, informe Alhassane Sarro de la direction nationale de la pêche avant d’ajouter : «Notre pays n’a recensé que 60 espèces de poissons dans le delta central du Niger, au lac Debo, dans la Région de Mopti en 2023. Plusieurs facteurs ont fait que des espèces ont disparu dans le fleuve Niger, le Bani, le Sankarani même dans les lacs de retenus.»

Pour Alhassane Sarro, les premières causes de cette disparition sont d’abord les facteurs climatiques. Il rappelle, les sécheresses successives que le Mali a connues depuis 1973, 1984 et 1985. «La deuxième cause, c’est l’effet des captures intensives. Le changement climatique fait que certaines espèces ont besoin de certaines conditions de température de chaleur et d’humidité pour se reproduire ou des écosystèmes bien adaptés. Tant que ces poissons n’ont pas ces conditions, ils peuvent faire plusieurs années sans se reproduire, donc l’espèce disparait dès que les adultes sont capturés», explique-t-il. Autre facteur cité par cet ingénieur des eaux et forêts, c’est les mauvaises pratiques de pêche.

C’est un facteur humain qui peut être résolu. «Par exemple, quand on enlève les œufs de la femelle du poisson, on voit beaucoup de petits cristaux dedans et chaque cristal contient un poisson. Donc, la femelle peut donner plus de 9.000 à 10.000 petits poissons. Il doit avoir une réglementation pour ne plus tuer les poissons avant les 30 ou 40 grammes», insiste-t-il.En période d’hivernage (entre juillet et septembre), quand un pêcheur tue une femelle, il tue plusieurs poissons, explique l’expert. Auparavant, ajoute-t-il, quand les vieux pêcheurs remontaient à la surface une femelle en état de reproduction, ils la remettaient dans l’eau au lieu de la tuer. Malheureusement, les prêcheurs d’aujourd’hui prennent tout, déplore-t-il.

À Mopti, Tombouctou et Gao, la direction nationale de la pêche a remarqué que beaucoup d’espèces ont disparu ces dernières années. Mais dans les zones du sud avec le barrage de Sélingué, de Manantali, dans la Région de Kayes, il y a un peu plus d’espèces de poissons que dans la zone du Delta. Parmi les facteurs de disparition des poissons, on peut également noter le changement climatique comme les conditions de crue ou d’hivernage qui ne sont pas trèp favorables dans les zones du nord. Beaucoup de mares lointaines ont tari où les poissons remontaient pour se reproduire.

Avec la crue exceptionnelle cette année, l’eau a traversé beaucoup d’endroits qui étaient à l’époque des passages que les poissons empruntaient pour partir se reproduire à 50 ou 100 km, voire au-delà du lit principal. S’ils n’ont pas cet espace, il serait difficile pour eux de se reproduire. La direction nationale de la pêche a préparé un arrêté qui précise que les poissons ne doivent pas être pêchés en période de reproduction ou de croissance. Les autorités veulent d’abord sensibiliser les pêcheurs avant de sanctionner les contrevenants.

De l’avis d’Abdoulaye Konta, ancien président des pêcheurs du Mali, président d’honneur de la nouvelle interprofession, l’écosystème et la rareté de l’eau ont fait en sorte que les endroits où les poissons se régénèrent ont disparu. La seconde raison est la surpêche, explique-t-il. Il cite également les raisons naturelles dues au changement climatique. «Nous avons essayé de trouver cette année à Mopti un endroit pour mettre à l’abri les espèces de poissons menacées pour la régénération», dit-il.

Pour y arriver, Abdoulaye Konta mise sur la sensibilisation et l’achat des poissons en voie de disparition avec les pêcheurs. C’est bien de pêcher pour se nourrir ou gagner sa vie, mais c’est encore mieux d’éviter pêcher jusqu’à nuire à l’écosystème. Pour coller au titre d’un mémorable film tiré d’un roman éponyme, « les oiseaux se cachent pour mourir », il faut s’interroger sur le sort des poissons dans nos cours d’eau. Eux aussi se cachent, pour mourir ou pas, à cause d’un prédateur appelé l’homme.

Fadi CISSE

Lire aussi : Salon de la rentrée universitaire : Un espace d’orientation pour bâtir l’avenir des étudiants

Face aux défis croissants liés à l’orientation des bacheliers et jeunes diplômés, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (MESRS) entend jouer son rôle dans l’accompagnement des futurs étudiants. C’est tout le sens du Salon de la rentrée universitai.

Lire aussi : Université d’été des volontaires de l’AES : L’engagement pour une reconstruction réelle

Le ministre de la Jeunesse et des Sports, chargé de l’Instruction civique et de la Construction citoyenne, Abdoul Kassim Ibrahim Fomba, a lancé, jeudi dernier au Centre d’entrainement pour sportifs d’élite de Kabala (Cesek), la 2è édition de l’université d’été des volontaires de l.

Lire aussi : Diaspora malienne : L’appel pour la paix et la cohésion entendu

Une délégation du Haut conseil des Maliens de l’extérieur (HCME) et du Conseil supérieur de la diaspora malienne (CSDM) a été reçue en audience, mercredi dernier, par le ministre des Maliens établis à l’extérieur et de l’Intégration africaine, Mossa Ag Attaher..

Lire aussi : Vision Mali Kura 2063 : Le document présenté aux partenaires techniques et financiers

Assurer l’indépendance économique, renforcer la souveraineté et bâtir un avenir durable pour les générations futures : telle est l’ambition portée par la vision «Mali Kura Ɲɛtaasira ka bɛn san 2063 ma »..

Lire aussi : Salon de l’Habitat de Bamako : la 8è édition attendue en octobre 2025

L’événement verra la participation de sept pays, à savoir la Türkiye (pays d’honneur), le Niger, le Burkina Faso, le Maroc, la Mauritanie, le Sénégal et la Guinée.

Lire aussi : Notre santé, Grossesse : Les envies de la femme enceinte

Toutes les femmes ont des envies, mais ces envies sont diverses et variées. Selon le Pr Amadou Bocoum gynécologue obstétricien à l’hôpital Gabriel Touré, le corps de la future maman a des besoins nutritionnels..

Les articles de l'auteur

Flambée des prix des condiments : C’est très dur pour les ménagères

Chou, tomate, piment, courge, aubergine, gombo frais, céleris et persils, poivron, viande, volaille, presque tout est cher en période de soudure. Une situation délicate qui coupe le sommeil à nombre de femmes au foyer.

Par Fadi CISSE


Publié mercredi 10 septembre 2025 à 12:58

Ciment : Le prix baisse

La tonne du ciment local doit être cédée à 112.000 Fcfa contre 117.000 Fcfa pour le ciment importé.

Par Fadi CISSE


Publié mardi 26 août 2025 à 09:22

Résilience socio-économique : La contribution satisfaisante de l’ONG Join for Water

Le 1er adjoint au préfet de Kati, Issa Pléa, a ouvert, hier à la préfecture de Kati, les travaux de la 2è session ordinaire du Comité local d’orientation de coordination et de suivi des actions de développement (Clocsad) couplée au 1er comité de pilotage du programme de l’ONG Join for water (JFW)/Protos au titre de l’exercice 2025. C’était en présence de sa Coordonnatrice pays, Mme Fomba Bintou Traoré..

Par Fadi CISSE


Publié vendredi 15 août 2025 à 08:57

Travail manuel : La rude concurrence des ouvriers étrangers

Certains reprochent à nos ouvriers leur manque de compétitivité à l’échelle sous-régionale, voire africaine. Ceux-ci expliquent simplement que derrière les travailleurs manuels d’autres nationalités, qui officient dans notre pays, se cachent nos professionnels pour la réalisation de leurs œuvres.

Par Fadi CISSE


Publié mercredi 06 août 2025 à 08:41

Salon des médias du Mali : Zoom sur le professionnalisme

«Pour un pays comme le nôtre, en quête de stabilité, de souveraineté et de cohésion nationale, la qualité de l’information n’est pas un luxe : elle est une nécessité indispensable et même un enjeu stratégique»..

Par Fadi CISSE


Publié vendredi 01 août 2025 à 09:42

Le ministre Boubacar Diané dans l’émission Mali Kura Taasira 3 : «Des actions et réformes urgentes pour sortir définitivement de cette crise énergétique»

-.

Par Fadi CISSE


Publié lundi 28 juillet 2025 à 07:31

Budget 2024 de l’Amap : Satisfecit et encouragements du conseil d’administration

Le budget de l’Agence pour l’exercice 2024, adopté par la 45è session ordinaire, se chiffre à plus de 2,3 milliards de Fcfa contre 2,2 milliards Fcfa en 2023, soit un taux d’augmentation de 0,80%.

Par Fadi CISSE


Publié mercredi 16 juillet 2025 à 07:55

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner