Écrans et enfants : quand la nomophobie rime avec danger

Troubles de conduite, retard de langage, isolement, paresse, problème d’yeux… Voici à quoi les enfants sont exposés après une longue utilisation du téléphone

Publié mercredi 29 janvier 2025 à 09:29
Écrans et enfants : quand la nomophobie rime avec danger

Il est 11h à Djelibougou dans la cour de sa maison, Sitan Diallo, une femme au teint clair et à la taille élancée est en train d’éventer son feu sur lequel mijote une sauce yassa. À côté d’elle, jouent sur son téléphone ses fils Mahamane 7 ans et Sidi 4 ans. La mère de famille explique : «Si je ne leur donne pas mon téléphone, ils vont me fatiguer et je ne pourrai pas cuisiner. Grâce au téléphone, je peux faire toutes mes tâches ménagères en un record sans qu’ils aient à me déranger».

Elles sont plusieurs comme Sitan à donner leur téléphone à leurs enfants pour vaquer à leurs occupations sans savoir que cela a de grands impacts sur la vie de leur progéniture. «La forte utilisation des téléphones a des conséquences sur la vie des enfants», nous apprend le psychologue Bourama Sangaré. Joint par téléphone, il explique qu’elle peut entraîner une diminution de la capacité cognitive. «L’enfant qui est longtemps exposé aux écrans peut avoir des troubles du langage», prévient-il. Elle peut aussi entraîner des troubles de conduite et une hyperactivité.

De son côté, le sociologue Adama Dembélé indique que ceux qui passent plus de temps avec les écrans interagissent moins avec les gens. C’est le cas de Drissa Diop, 17 ans, teint noir, mince et grand de taille. «Depuis très jeune, j’ai été exposé aux écrans. À l’école, j’étais très intelligent mais pas quand il s’agissait de me faire des camarades, affirme t-il».

Il poursuit : «Jusqu’à présent cela me suit car j’ai l’impression d’être différent des autres, je ne suis pas très bavard, je ne suis pas non plus très à l’aise auprès des gens.»

 

PROBLÈME FAMILIAL- «Ma fille passe énormément de temps sur mon téléphone. Le matin, quand elle se réveille, la première chose qu’elle réclame c’est le téléphone, elle refuse de manger sans, la nuit elle se couche très tard. Cela me pose des problèmes avec mon époux qui pense que c’est de ma faute», affirme Nanaïssa Keïta, une ménagère de 30 ans. «Ma fille est déjà accro au téléphone, je veux l’aider avant qu’il ne soit trop tard», se plaint-elle.

Le sociologue affirme aussi qu’un enfant qui utilise fréquemment le téléphone, ne peut être concentré. «Il ne va pas jouer au dehors, n’interagira avec personne ce qui sera un pont entre lui et son monde». Il alerte également sur la naissance d’un nouveau phénomène «le remplacement des parents et des professeurs par le téléphone». En effet, les écrans exposent les enfants à une précocité à certaines images. «Certaines choses que les enfants doivent apprendre avec leurs parents, ils les apprennent avec leur téléphone. Ce qui fait que le rôle de tuteur est attribué aux écrans. Or, le téléphone ne peut remplacer les parents. Un enfant a besoin de ses parents. Ce qui aggrave les choses encore plus, c’est la dépendance des parents pour leur téléphone»,  informe-t-il.

Le psychologue Sangaré prévient que les effets des écrans du téléphone s’intensifient à long terme. Il signale qu’ils pourraient aboutir à une diminution de sensibilité émotionnelle ou à un manque d’empathie. Les comportements agressifs ou violents pourraient aussi en résulter.

Le professeur Setigui Kouyaté regrette la même chose. «Aujourd’hui, le téléphone a favorisé la paresse et la médiocrité intellectuelles chez  l’enfant.  Toute activité scolaire ou extra-scolaire qui n’a pas sa réponse dans le téléphone, sur Google, dans une application téléphonique ou prise en photos-images n’a de bonnes réponses chez les élèves. En effet, on ne réfléchit plus de soi-même» ; déplore l’enseignant.

Habiboulah Maïga, informaticien télécom, explique que la lumière bleue qui est dominante sur les écrans chauffent les neurones et agressent les yeux. Il déconseille l’usage du téléphone par les enfants, car leur cerveau est en plein développement. «Nous sommes tous exposés aux ondes, le cerveau d’une personne âgée a la capacité d’y faire face, pas celui des enfants qui ont tendance à les absorber ce qui pourrait conduire à un abrutissement chez l’enfant», informe t-il. Le téléphone n’est pas que négatif, poursuit-il, les divertissements positifs aident l’enfant à s’épanouir et lui donner un bon état émotionnel. Le jeu par exemple joue un grand rôle  dans son développement, concède-t-il.

Ibrahim Haïdara explique qu’il ne laisse pas son téléphone à ses enfants car selon lui, l’enfant apprend par observations et reproduit le modèle auquel il est exposé. Donc, il préconise la lecture aux parents comme cela, l’enfant serait tenté de le reproduire.

Le psychologue Sangaré conseille la limitation des écrans. «Quelques soient leurs contenus, le temps d’exposition doit être contrôlé et ne doit pas être précoce, ça tient compte de l’âge de l’enfant, tonne t-il.


Interdiction

 

En 2024, plusieurs pays à travers le monde ont décidé d’interdire l’accès des écrans aux enfants. Au Togo, Kayi Afidé Alognon, membre du ministère de l’Enseignement technique, a expliqué que l’interdiction du téléphone dans son pays vise à améliorer la qualité de l’apprentissage des élèves. «En effet, a-t-il expliqué, même avec un téléphone dans le sac, la concentration est altérée, et ils peuvent l’utiliser pour prendre des photos ou accéder à des contenus inappropriés.»

Au Brésil, le Sénat a approuvé fin décembre 2024 une loi pour «préserver la santé mentale, physique et psychologique des enfants et des adolescents». De plus, la Nouvelle-Zélande a récemment interdit l’utilisation des téléphones portables à l’école, obligeant les élèves à les garder éteints dans leur sac ou dans leur casier pendant les cours.

Par ailleurs, plusieurs personnes riches dans le monde interdisent l’accès aux téléphones à leurs enfants. Bill Gates fondateur de Microsoft a déclaré : «Il est important de déterminer dans quelles situations les écrans peuvent être utilisés de manière appropriée et dans quelles situations cela devient excessif. Nous n’utilisons pas de téléphone à table pendant les repas, et nous n’avons pas donné de portable à nos enfants avant leurs 14 ans, même lorsqu’ils se plaignaient que d’autres en avaient déjà.»

Steve Jobs, patron de Apple, a relevé à un journaliste qui l’interviewait que ses enfants n’utilisaient pas l’Ipad. «Nous limitons la technologie que nos enfants ont le droit d’utiliser à la maison», a-t-il souligné.

Au Mali, malgré tous ces dangers aucune loi n’est adoptée pour la limitation des écrans chez les enfants à bas âge.

Fatouma CISSÉ

Étudiante L3 ESJSC

Rédaction Lessor

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