Dr Abdoul Sogodogo, enseignant-chercheur à l’université Kurukanfuga de Bamako à propos de la journée des Martyrs : «Il urge de renégocier un contrat social inclusif où la sécurité se construit avec les libertés»

Dans cet entretien qu’il a accordé à L’Essor, l’enseignant-chercheur fait le bilan des 34 ans de la démocratie malienne. Le vice–doyen de la Faculté des sciences juridiques et politiques de Bamako (FSAP) revient également sur les promesses inachevées de 1991 et les urgences du présent

Publié mardi 25 mars 2025 à 07:27
Dr Abdoul Sogodogo, enseignant-chercheur à l’université Kurukanfuga de Bamako à propos de la journée des Martyrs : «Il urge de renégocier un contrat social inclusif où la sécurité se construit avec les libertés»

Trois décennies plus tard, alors que le Mali traverse une crise sécuritaire, politique et économique, il est important de revenir sur les acquis démocratiques et les défis persistants. Entre espoirs déçus, résilience citoyenne et refondation de l’État, que reste-t-il des idéaux de Mars 1991 ?  À l’analyse du Dr Abdoul Sogodogo, les acquis formels de la démocratie multipartite malienne représentent une rupture symbolique avec le monolithisme politique incarné par l’Union démocratique du peuple malien (UDPM). «La fin de cette monoculture politique a donné naissance à un pluralisme institutionnalisé, ouvrant la voie à une compétition électorale encadrée par la Constitution de 1992», rappelle l’enseignant-chercheur.

Pour lui, ce pluralisme, bien que fragmenté avec plus de 300 partis enregistrés, constitue une avancée structurelle en rompant avec le centralisme oppressif de l’UDPM, qui étouffait toute voix dissonante au nom d’une unité nationale factice. À ses dires, les acquis formels de la démocratie se résument essentiellement à la fin du parti unique, la consécration des libertés civiles, l’émergence d’une société civile dynamique, l’élargissement de la décentralisation et l’empowerment local.

DÉMOCRATIE EN PANNE D’EXCROISSANCE- Le vice-doyen de la FSAP revient également sur les irrégularités relevées notamment lors des législatives de 1997 et de 2020. Pour lui, bien que des élections soient régulièrement organisées, leur crédibilité a souvent été remise en question. «Les contestations des résultats des législatives de 1997 et de 2020 en sont des exemples marquants», pointe-t-il du doigt. De plus, soutient-il, le taux d’abstention dépasse fréquemment 60%, comme lors des législatives de 2020, témoignage d’une désaffection croissante des citoyens vis-à-vis du processus électoral.


Dr Sogodogo déplore que ces chiffres révèlent un faible ancrage de la culture électorale au Mali. Par ailleurs, il analyse que les régimes successifs d’Alpha Oumar Konaré, d’Amadou Toumani Touré (ATT) et d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) ont été critiqués pour avoir favorisé le clientélisme et la corruption, contribuant ainsi à l’instauration d’une culture politique prédatrice.

«L’instabilité politique, marquée par des ruptures de l’ordre constitutionnel en 2012, 2020 et 2021, révèle, selon de nombreux analystes politiques, l’inadéquation des institutions issues de la révolution de 1991 face aux réalités sociétales contemporaines du Mali», commente l’enseignant du supérieur. Et d’ajouter que certains observateurs attribuent cet échec systémique, voire collectif, à l’incapacité des dirigeants civils à gérer efficacement les crises politiques et sécuritaires, en particulier, la question du terrorisme, qui entravent le développement économique du pays. À ce propos, l’enseignant-chercheur signale que la réponse réside ailleurs. «Elle se trouve dans le système démocratique malien, notamment son incapacité à se métamorphoser pendant les périodes de crises profondes (2012 et 2020) et sa tendance à marginaliser les voix minoritaires», explique-t-il. 

LE PARADOXE MALIEN- Dr Abdoul Sogodogo développe que le Mali se trouve à un carrefour paradoxal où le désir d’une démocratie véritable et substantielle coexiste avec un rejet de l’ordre politique établi et des structures de gouvernance qui ont échoué à répondre aux aspirations des populations. Pour lui, ce paradoxe peut être explicité à travers plusieurs dimensions. «Le premier aspect de ce paradoxe réside dans le rejet généralisé des institutions politiques du Mali post-autoritariste (1991)», révèle-t-il.


Pour le vice-doyen de la FSAP, les gouvernements successifs, souvent perçus comme corrompus et inefficaces, ont eu du mal à fournir, à hauteur de souhait, des services de base (éducation, santé, justice), à assurer la sécurité (rébellions récurrentes, terrorisme, criminalité transfrontalière) et à mettre en œuvre des politiques de développement.


«Ce constat a nourri un sentiment de désillusion parmi les citoyens, expliquant les crises récurrentes à l’égard des institutions étatiques», affirme l’enseignant-chercheur. Par conséquent, la population exprime son rejet non seulement de la classe politique, mais aussi des mécanismes de la démocratie libérale en place, jugeant ces institutions incapables de représenter ses véritables intérêts. Cependant, selon l’universitaire, ce rejet des formes et pratiques démocratiques établies ne signifie pas un renvoi de l’idée même de démocratie, comme en attestent des sondages d’Afro-baromètre et Mali-Mètre entre 2020 et 2024.

«Au contraire, il révèle un désir profond d’une démocratie substantielle, c’est-à-dire une forme de gouvernance où les citoyens jouissent d’une réelle participation et d’une représentation effective dans la prise de décision», soutient Dr Sogodogo, tout en appuyant que cette aspiration se manifeste à travers les revendications des jeunes, des mouvements sociaux et des acteurs de la société civile qui appellent à une refondation de l’État, à une clarification des droits des citoyens et à une plus grande transparence dans la gouvernance. Il prévient que les revendications pour une démocratie substantielle incluent plus de justice sociale, une meilleure répartition des ressources et une implication active des citoyens dans la gestion des affaires publiques.

Dr Abdoul Sogodogo rappelle que le Mali a connu plusieurs Transitions politiques à la suite de coups d’État, ce qui accentue le paradoxe de la démocratie malienne. Selon lui, les récentes prises de pouvoir par les militaires sont perçues par une partie de la population comme un retour à un autoritarisme susceptible de compromettre la quête de démocratie véritable. Pour l’enseignant-chercheur, cette dynamique illustre la complexité de la situation actuelle. En se présentant comme garantes de la stabilité, les Forces armées bénéficient du soutien de la grande majorité de citoyens.

Ces derniers semblent privilégier une sécurité immédiate au détriment de l’instauration, sur le long terme, de pratiques démocratiques pérennes.

En somme, selon l’analyste politique, 34 ans après la chute de Moussa Traoré, le Mali reste tiraillé entre les promesses inachevées de 1991 et les urgences du présent. Pour éviter que la «Journée des Martyrs» ne devienne un simple folklore historique, selon lui, il urge de renégocier un contrat social inclusif, où la sécurité ne se construit pas contre les libertés, mais avec elles.

Souleymane SIDIBE

Lire aussi : Discours haineux : un nouveau comité annoncé pour protéger les leaders religieux

Le Premier ministre, le Général de division Abdoulaye Maïga, a rencontré ce jeudi 4 décembre, à la Primature, les leaders religieux du pays afin de leur annoncer la mise en place prochaine d’un comité chargé de trouver des solutions aux propos haineux visant la religion et les guides relig.

Lire aussi : Cacao : l’ICCO revoit à la baisse le surplus de production pour la campagne 2024/2025

Après plus de trois années de déficit, le marché mondial du cacao semble amorcer un retournement au terme de la campagne 2024/2025. Les dernières estimations publiées par l’Organisation internationale du cacao (ICCO) confirment en effet un passage vers un léger excédent durant cette campag.

Lire aussi : Environnement : 143.433 foyers de feux de brousse au Mali entre 2016 et 2023

Ces feux de brousse ont dévasté près de 36 millions d’hectares, soit l’équivalent de plus d’un quart du territoire national. Dans une analyse, le spécialiste en géographie de l’environnement, Dr Adama Sissoko, dresse un état des lieux alarmant.

Lire aussi : Solidarité et lutte contre l’exclusion à Ségou : Bilan satisfaisant

Le préfet du Cercle de Ségou, Daouda Diarra, a présidé, mercredi dernier dans ses locaux, la cérémonie de clôture officielle des activités du Mois de la solidarité et de la lutte contre l’exclusion (MSLE). C’était en présence du maire de la Commune urbaine de Ségou, Nouhoun Diarra, .

Lire aussi : Chavirement d’une pirogue surchargée à Galoukoné : les eaux emportent 6 élèves

Dans le Cercle de Bafoulabé, la tragédie survenue, vendredi dernier, à Galoukoné à une vingtaine de kilomètres de son chef-lieu de commune (Mahina), a pris aux tripes parce que rarement un drame d’une telle ampleur n’aura secoué les habitants de la ville. La quiétude de la ville a été .

Lire aussi : Lancement du DDR-I à Mopti : 472 ex-combattants engagés dans une nouvelle voie

Le processus Démobilisation, Désarmement, Réinsertion et Intégration (DDR-I) a officiellement démarré, le samedi 29 novembre 2, dans la Région de Mopti. C’est au camp de jeunesse de Soufouroulaye, en présence des autorités administratives et militaires, que ce tournant majeur pour la stab.

Les articles de l'auteur

AES : Le Mali finalise les préparatifs de la 2è session du Collège des Chefs d’État

Le Premier ministre, le Général de division Abdoulaye Maïga, a présidé ce jeudi 4 décembre à la Primature une réunion du Comité de pilotage chargé de préparer les prochaines échéances de la Confédération des États du Sahel (AES). Les travaux ont permis de faire le point sur l’organisation des rencontres prévues ce mois de décembre à Bamako..

Par Souleymane SIDIBE


Publié jeudi 04 décembre 2025 à 14:52

Discours haineux : un nouveau comité annoncé pour protéger les leaders religieux

Le Premier ministre, le Général de division Abdoulaye Maïga, a rencontré ce jeudi 4 décembre, à la Primature, les leaders religieux du pays afin de leur annoncer la mise en place prochaine d’un comité chargé de trouver des solutions aux propos haineux visant la religion et les guides religieux..

Par Souleymane SIDIBE


Publié jeudi 04 décembre 2025 à 14:06

Report du Forum de l’investissement de l’OCI : Le Mali veut garantir une organisation optimale

Dans un communiqué publié ce mardi, le ministère de l’Industrie et du Commerce a annoncé le report à une date ultérieure du Forum de l’investissement de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) en Afrique, initialement prévu du 2 au 4 décembre à Bamako..

Par Souleymane SIDIBE


Publié mardi 02 décembre 2025 à 22:08

Crise du carburant : Des progrès visibles et un dispositif renforcé

Le Premier ministre, le Général de division Abdoulaye Maïga, a présidé ce mardi 2 décembre la réunion hebdomadaire du Comité interministériel de gestion des crises et catastrophes, largement consacrée à la situation des hydrocarbures..

Par Souleymane SIDIBE


Publié mardi 02 décembre 2025 à 15:31

Bamako : Un convoi de matériels du Génie militaire suscite curiosité et ferveur patriotique

-.

Par Souleymane SIDIBE


Publié dimanche 30 novembre 2025 à 17:24

Circonscription de Djenné : Une frappe ciblée contre des éléments terroristes

Les Forces armées maliennes (FAMa) ont mené, le 28 novembre dernier, une frappe ciblée contre des éléments terroristes regroupés à proximité de Sounga-Marka, dans la circonscription de Djenné..

Par Souleymane SIDIBE


Publié samedi 29 novembre 2025 à 22:53

Forêt de Ouessebougou : Une base terroriste détruite par les FAMa

Dans le cadre des opérations de surveillance du territoire menées le 27 novembre 2025, les Forces armées maliennes (FAMa) ont découvert une importante base terroriste dissimulée sous un couvert végétal dans la forêt de Ouessebougou, à proximité de Sébabougou..

Par Souleymane SIDIBE


Publié samedi 29 novembre 2025 à 10:37

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner