L’Essor : Quelle est votre lecture de la situation
sociopolitique du Mali qui se trouve dans une Transition depuis un peu plus de
18 mois ?
Aguibou Bouaré : Effectivement, l’on ne devrait pas en être
là, à ce jour, à discuter des questions de délai, à partir du moment où pendant
les concertations nationales, une durée avait été convenue, laquelle aurait
gagné à être adossée à un chronogramme précis fixant normalement toutes les
activités à mener pendant la durée de 18 mois. Malheureusement, nous n’avons
pas pu tenir cette échéance et avons été obligés de solliciter une prorogation.
Depuis, avec les partenaires régionaux et internationaux, l’on ne parvient pas à
s’entendre autour de la nouvelle durée qui se présente comme un mirage et qui
doit, je l’espère, normalement être basée sur un chronogramme cette fois-ci. Ce
qui fait que la situation sociopolitique n’est pas rassurante; elle est marquée
par l’incertitude sur beaucoup de plans; il y a des clivages entre différentes
composantes de la société, en dépit du sentiment de peur; beaucoup de
manifestations de rue sont organisées par rapport à la nouvelle direction à
imprimer au pays, hors le cadre des élections, en termes de partenariat avec
des puissances étrangères; des menaces pèsent sur certaines libertés
individuelles et collectives.
Un certain nombre de partis ou regroupements
politiques ne semblent pas d’accord avec
l’approche de prorogation de la durée de la Transition, en tout cas, réclament
un processus consensuel pour les prises de décisions engageant la Nation. également,
des organisations de la société civile et certains médias s’autocensurent par
rapport à un certain nombre de questions essentielles.
Bref, on peut dire
qu’une certaine tension existe au plan sociopolitique. Or, il est difficile de
faire face aux questions de développement sans rassurer, sans apaiser le climat
sociopolitique, sans une certaine cohésion sociale. Pour autant, sur le plan de
la sécurité, l’on peut noter certaines avancées, en termes d’acquisition de matériels
et d’équipements militaires. Des opérations militaires appréciées par les
populations sont en cours dans le cadre de la lutte contre le terrorisme,
qualifiées de montée en puissance des Forces armées maliennes (FAMa).
Même s’il est admis que la lutte contre le terrorisme ne s’apprécie pas exclusivement à l’aune des interventions militaires. Il y a d’autres aspects importants, notamment les questions de développement des zones infestées par le terrorisme. De plus, il faut noter les questions de chômage des jeunes vulnérables et devenant des proies faciles à l’enrôlement des groupes terroristes; le retour des services sociaux de base est une préoccupation majeure de même que la sécurisation pérenne des personnes et de leurs biens. Il convient d’adresser toutes ces problématiques afin de pouvoir espérer une lutte efficace, durable contre le terrorisme.
L’Essor : Le Mali est sous sanctions de la Cedeao et de
l’Uemoa depuis le 9 janvier dernier. Quelles sont vos recettes pour la sortie
de crise ?
Aguibou Bouaré : Nous avons toujours déploré ces sanctions
que nous avons trouvées lourdes et préjudiciables aux populations. Ces
sanctions portent atteinte aux droits socioéconomiques des populations (droits à
la santé, à l’alimentation...).
Par conséquent,
nous ne pouvons les approuver même si les partenaires déclarent ne conditionner
leur levée qu’à la production d’un chronogramme raisonnable de retour à l’ordre
constitutionnel. Soit dit en passant,
ces sanctions font suite à une longue série de négociations et d’échanges
infructueux entre notre pays et la Cedeao autour des garanties de retour à
l’ordre constitutionnel normal dans un délai raisonnable.
En termes de propositions concrètes, nous avons toujours
recommandé de renouer le dialogue constructif
avec les partenaires du Mali, singulièrement avec la Cedeao et l’Uemoa
pour parer au plus pressé. Il s’agira de convenir d’une nouvelle durée de la
Transition, mais cette fois-ci sur la base d’un chronogramme précis avec des échéances
bien déterminées. Il n’y a pas d’autres alternatives à notre sens. Il n’existe
pas de baguette magique pour le développement d’un pays; il est impossible de
nos jours pour un pays de vivre en autarcie.
Deuxième aspect, il faut privilégier
et récompenser le mérite et la compétence dans les nominations aux postes de
responsabilité; lutter contre l’impunité et la mauvaise gouvernance. Il faut
sortir de l’approche de diversité ou de gouvernement d’union nationale, perçue
comme un partage de gâteau, eu égard à la profondeur de la crise
multidimensionnelle que notre pays traverse, pour mettre en place un
gouvernement de mission avec des technocrates qui n’ont pas d’ambitions
politiques, et qui ne sont ni dans des
calculs électoralistes ni dans d’autres agendas cachés.
C’est une recette efficace qui peut nous aider, sans doute, à sortir du bourbier dans lequel nous sommes plongés. à partir de ces propositions à compléter certainement, je pense que l’on pourrait repartir sur de bases saines, amorcer un nouveau départ, rassurer les populations davantage, au delà des discours de meeting, pour faire face, dans la sérénité, aux questions de sécurité.
L’Essor : La refondation est un chantier important sur lequel
travaillent les autorités de la Transition. Quel sera l’apport de la CNDH dans
l’édification du Malikura?
Aguibou Bouaré : La CNDH est constante dans sa mission de
protection et de promotion des droits humains au service des populations
civiles et militaires. L’on se méfie souvent des slogans politiques au contenu
difficile à saisir. De toutes les façons, nous sommes convaincus qu’il ne
saurait y avoir de développement, de restructuration, de réformes sans que les
questions des droits de l’Homme ne soient au coeur des préoccupations de
l’action gouvernementale.
Nous avons toujours clamé et défendu cette posture
autour de l’état de droit, de la sécurité
juridique et judiciaire. Je pense qu’à un certain moment, le gouvernement en a
pris note et l’a intégré. Il vous
souviendra que le respect et la promotion des droits humains étaient
inscrits au rang des priorités de la feuille de route de la Transition. Nous
espérons que cela va continuer, parce qu’il serait illusoire de vouloir réformer
un état sans le faire dans le cadre de l’état de droit qui est une préoccupation
essentielle.
L’État de droit n’est rien d’autre que la soumission de tous les
citoyens à la loi, au règne de la loi avec son corolaire de respect des droits
fondamentaux des populations, des citoyens, sans discrimination d’aucune sorte,
sous la garantie d’une justice indépendante,
impartiale et équitable. Donc, notre combat tourne autour de cela. Notre
apport consiste à veiller à la consolidation de la démocratie, de l’état de
droit, du respect des droits humains, du retour à l’ordre constitutionnel
normal; et faire en sorte que l’attention de l’état soit régulièrement appelée
sur ces priorités.
Enfin, je rappelle
que nul n’est à l’abri de la violation de ses droits y compris ceux qui se croiraient
puissants, intouchables à un certain moment de leur parcours. La sécurité
juridique et judiciaire est la seule sécurité durable et pérenne; il suffit de
se référer à l’histoire récente des soubresauts sociopolitiques de notre pays,
pour se rendre à l’évidence que les victimes sont légion. Même si d’aucuns
continuent de penser que cela n’arrive qu’aux autres, en attendant leur tour
chez le coiffeur. La protection des droits de l’Homme est une responsabilité
partagée.
Dieu préserve notre Patrie.
Propos recueillis par
Massa SIDIBÉ
Massa SIDIBE
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