Mohamed Konaté : La perpétuation de la «science du feu»

Affectueusement appelé vieux Mambé, ce maître forgeron qui a de qui tenir continue de perpétuer un art. Il en revèle quelques secrets à travers ce portrait hagiographique

Publié lundi 06 octobre 2025 à 07:59
Mohamed Konaté :  La perpétuation de la «science du feu»

Mohamed Konaté et Mouhamoudou Bamba

 

 

À Banamba, aux confins des collines et des plaines, la ville garde encore l’écho des métiers anciens. Dans les ruelles poussiéreuses, les coups du marteau du forgeron, et les éclats de feu du soudeur résonnent comme un héritage têtu. Dans cette localité située à plus de 150 kilomètres de Bamako, Mohamed Konaté affectueusement appelé, et à juste titre d’ailleurs, «vieux Mambé» puisqu’il est âgé de 70 ans, continue de façonner le fer à sa guise. Il semble tenir cette science de ses ancêtres.

Dans son atelier ombragé, au coin d’une ruelle de «Douahalala», un quartier de Banamba, le marteau résonne encore sur le métal rougeoyant. Sous l’ombre d’un arbre dans sa chaise bancale, l’homme exerce une pression sur les soufflets. Mais ses gestes sont lents parce que décati par le poids des ans, mais ils sont sûrs. Il instruit en même temps ces petits enfants qui fabriquent de petites pelles à braises ou «dossiens» en langue bamanakan. Son visage est couvert de cendre, mais ses yeux pétillent toujours. 

Le vieil homme se penche de temps à autre dans sa chaise pour guider ses petits-enfants et perpétue un geste appris dès l’âge de 5 ans auprès de son père. Né en 1955 à Banamba, Mohamed Konaté a grandi dans une famille de forgeron. «Je n’ai pas choisi ce métier. Je suis né dedans», dit-il avec sourire. Dans sa famille, on forge depuis des générations.

Enfant, il passait ses journées à pomper le soufflet, à observer le feu engloutir les morceaux de fer. Pour lui, forger n’est pas un métier, c’est une destinée. Ses mains, noircies et fendues par le feu, tremblent parfois quand il soulève la pince, mais son regard reste fixé sur la flamme, avec cette obstination des vieux artisans qui refusent de céder au temps.

«La forge était obligatoire, ma famille ne connaissait que ça. Dès le matin, tu finis de te préparer seulement, tu prends le chemin de l’atelier», explique le vieil homme. Apprenti dans la forge familiale depuis le bas âge, il soufflait sur les braises, observait les gestes précis de son père avant de pouvoir manier le marteau. «Ma première œuvre, c’était un petit couteau de cuisine. Rien de grand, mais j’étais si fier», se souvient-il, indiquant fabriquer ses petits matériels qu’il repartait vendre après les travaux de l’atelier. «Ce n’est qu’après les avoir appris qu’on nous apprenait à faire des dabas, des haches», poursuit-il, tout en désignant ses petits enfants à l’œuvre. 

 

MÉTIER CLÉ-Mohamed Konaté se souvient bien des années de l’indépendance. Il affirme qu’à cette époque, les forgerons avaient un rôle central dans la fabrication des outils agricoles comme les semoirs, les charrues de labour, les dabas, houes, les charrettes, mais aussi des ustensiles. «Le forgeron était considéré comme un génie», se rappelle Mohamed. À le croire, ils étaient les mains cachées derrière le progrès. Il raconte comment dans les années 1960, les forgerons étaient sollicités par la communauté et les échanges qui existaient entre les forgerons et les autres castes. «On ne parlait pas d’argent, mais d’entraide.

Les cultivateurs après la récolte récompensaient le forgeron de ses récoltes en retour, ce dernier lui confectionnait des matériaux agricoles pour labourer le champ nourricier», raconte le vieillard qui précise que la vente était rare.  On fabriquait beaucoup de choses, dit fièrement vieux Mambé comme pour montrer leur importance particulière dans la société.


En ce sens, il dira que les forgerons réparaient et construisaient aussi. Autrefois, poursuit-il, la forge était difficile contrairement à aujourd’hui où les choses ont évolué avec les outils adéquats. «Avant, on avait que le marteau, l’enclume et le soufflet à pied. Aujourd’hui, il n’y a pas de matériels que les artisans ne peuvent pas faire au marché de ferrailles de Médina-Coura», se réjouit le forgeron. Il indique que la technicité dans les années soixante qui reposait sur la force physique et l’ingéniosité de l’artisan a changé avec le temps.

C’est pourquoi, dira-t-il, certaines techniques ancestrales, des secrets de trempe ou des gestes précis se perdent. «Les anciens connaissaient la température rien qu’à la couleur du métal. Ça, les jeunes ne le sentent plus. Où encore l’extraction du métal du gravier à métal», précise le doyen qui signale qu’aujourd’hui n’importe qui fait la forge. Pourtant, autrefois c’était l’apanage des «noumous», prosaïquement forgerons.

Le vieillard souligne avaoir fabriqué un nombre incalculable de charrettes, de charrues de labour, de grilles pour les habitants de son secteur. Le forgeron a connu des grandes années, celles où ses productions nourrissaient sa famille et lui valent, à ce jour encore, le respect du quartier. «J’ai tout eu grâce à ce métier», confie-t-il. Une maison, l’éducation de mes enfants, la reconnaissance des siens. Mambé a formé plusieurs apprentis au fil des décennies et continue encore de le faire.

Aujourd’hui encore, ses fils et ses petits-fils travaillent à ses côtés. L’atelier est devenu un magasin, un lieu de transmission de son savoir à ses fils et petits-enfants qui travaillent à la chaîne. Certains voyagent de ville en ville pour installer des châteaux d’eau, preuve que la forge, loin de disparaître, se réinvente plutôt. Transmettre le savoir, selon lui, n’est pas facile surtout que ça demande de la patience et l’endurance pour maîtriser ce métier exigeant.

Le vieux Mambé reste confiant quant à l’avenir du métier, malgré les difficultés entravant le secteur. Il appelle à plus de formation, d’équipements et surtout de considération pour les artisans. «Si rien n’est fait, ça va disparaître. Mais avec les besoins modernes, on peut aussi le faire revivre. Il faut juste qu’on nous soutienne», explique-t-il.

Un ancien apprenti croisé à Bamako qui n’évolue plus dans le domaine témoigne avaoir appris de ce maître forgeron les rudiments du métier de la forge, notamment la fabrication de la houe et de la daba. Dans le Cercle de Banamba, partout où son nom résonne, c’est synonyme de respect.

 

Mouhamoudou Bamba :  Parcours d’un maître soudeur

Non loin de là, dans une allée de Banamba, résonne encore le sifflement du chalumeau de Mouhamoudou Bamba. Installé depuis 1985, cet artisan passionné perpétue un savoir-faire rare, hérité non pas de sa famille, mais d’un choix personnel audacieux. Issu d’une lignée de menuisiers en bois, Bamba a décidé de prendre un autre chemin : celui de la menuiserie métallique. «Chez nous, tout le monde faisait de la menuiserie en bois. Moi, j’ai choisi celle du métal», confie-t-il avec fierté. Un choix motivé par sa volonté de se démarquer des siens évoluant dans le bois sans réussir. Ce choix, il le doit à l’influence de ses amis forgerons, auprès de qui il débute comme apprenti soudeur, quelques années après l’indépendance du Mali.

 

La sensibilité de la finition-C’est à l’occasion d’un mariage collectif à Banamba que Mouhamoudou Bamba découvre sa future terre d’accueil. Curieux, il observe les artisans locaux à l’œuvre. Le résultat ne le convainc pas et décide de corriger leur finition. «J’ai vu des armoires mal faites. Je leur ai montré comment bien faire, et tout de suite ils m’ont proposé de rester», raconte-t-il. Et c’est là qu’il a commencé à évoluer dans la menuiserie métallique après avoir quitté Sikasso.

Depuis, il n’a plus quitté son atelier dont les murs sont en chutes de tôles et plein de barres de fer empilées comme des troncs abattus, attendant la morsure du chalumeau. C’est ici qu’il a forgé sa première porte, à la surprise de son propre patron. «Il ne savait pas que je pouvais le faire. Mon expérience en menuiserie en bois m’a beaucoup aidé», se rémémore-t-il avec un sourire.


À cette époque, la menuiserie métallique était en plein essor. Les commandes affluaient pour les portes, fenêtres, bancs d’écoles, portails, et Bamba est sollicité pour des projets d’envergure. Parmi ses plus grands souvenirs, les portes du camp Tièba de Sikasso et le batardeau d’un barrage, réalisé pour Plan international Mali.

«À l’époque, on ne faisait pas que réparer. On construisait. Du mobilier, des structures, des équipements. Sans nous, certains projets n’auraient pas vu le jour», raconte-t-il fièrement. En ce temps, se souvient-il, les menuisiers métalliques étaient au cœur du chantier national. Parlant des soudeurs de sa génération, Bamba les évoque avec fierté, «On avait des gestes précis, presque secrets. Notre manière de travailler, différente d’aujourd’hui, reposait sur la sérénité, la patiente. Beaucoup de jeunes vont vite, mais perdent cette sensibilité».

 

Patience et rigueur-Au fil des décennies, les techniques et les outils ont évolué, mais le métier, lui, conserve ses fondations. «Avant, on utilisait la lime, la scie, quelques pinces… Aujourd’hui, les meuleuses et les découpeuses au plasma ont changé la manière de travailler. Mais les bases restent les mêmes», dit-il. Et de rappeler une anecdote avec ses apprentis de Kadiolo, surpris de le voir plier la tôle à l’aide d’une simple cornière pour dessiner les formes des portes. «Ils allaient à Zegoua pour le faire, moi je leur ai montré que c’était possible ici. L’ouvrier doit toujours trouver une solution», enseigne-t-il.

Formateur passionné, Bamba a vu nombre de ses apprentis ouvrir leurs propres ateliers.

Mais transmettre n’est pas chose facile. «Ce qui est le plus dur, c’est le devis, savoir combien de lames utiliser pour la confection de la porte ou de la fenêtre, connaître les bonnes dimensions. Si tu ne maîtrises pas ça, tu ne peux pas ouvrir un atelier», assure le maître soudeur. Son regard se trouble quand on évoque le respect du métier aujourd’hui, «À l’époque, on avait l’amour du travail».

Pour lui, la patience et la rigueur restent les piliers de ce métier. Deux qualités qui se font rares aujourd’hui. «Avant, on travaillait toute la semaine pour 500 francs. Aujourd’hui, certains jeunes veulent tout et tout de suite. Ils voient le travail manuel comme un dernier recours», a-t-il regretté.

Malgré les défis, Mouhamoudou Bamba ne craint pas la disparition de la menuiserie métallique, bien au contraire, il reste optimiste. «Le métier ne disparaîtra pas.

 Il va même se renforcer, car les besoins modernes sont là. Mais, il faut mieux former les jeunes, les préparer aux nouvelles techniques et s’adapter à l’évolution des choses», recommande le maître artisan. Son atelier, devenu une référence dans la localité, continue d’attirer des jeunes motivés. «J’en ai eu un, en une semaine, il a su couper du métal à la scie. Il avait la volonté. Tandis que d’autres, après trois ans, ne savent faire que de la commission», explique-t-il. Autour de lui, les témoignages pleuvent. «C’est un homme qui aime ce qu’il fait et le fait bien», affirme un client fidèle. Un autre explique que ses portes et fenêtres ont été conçues par ce ménuisier métallique. Ces menuiseries tiennent toujours, selon  lui.

Tamba CAMARA

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