#Mali : Pr Amadou Keïta, ministre des Mines : «L’objectif final est que tout l’or produit sur le territoire du Mali soit raffiné au Mali»

Les chantiers de réformes dans le secteur des mines avancent. Plusieurs entreprises minières s’apprêtent à migrer vers le code de 2023 et elles s’engagent toutes à appliquer les mesures du contenu local. Aussi, notre dispositif se renforce-t-il avec la perspective de création d’une brigade spéciale des mines et d’un commissariat chargé des activités minières. Ces informations sont données par le ministre des Mines, Pr Amadou Keïta, dans cette interview exclusive

Publié lundi 30 septembre 2024 à 17:42
#Mali : Pr Amadou Keïta, ministre des Mines : «L’objectif final est que tout l’or produit sur le territoire du Mali soit raffiné au Mali»

L’Essor : Que peut-on retenir de la mise en œuvre du nouveau code minier et de la loi sur le contenu local, une année après leur adoption ?

Pr Amadou Keïta : Notre pays a pris l’option en 2023 d’adopter un nouveau code minier et, pour la première fois de notre histoire, une loi relative au contenu local. Ce sont là des réformes majeures qui s’inscrivent dans une vision globale de la refondation de notre État. Ces deux textes sont l’émanation d’une aspiration forte du peuple malien exprimée lors des Assises nationales de la Refondation et ont été conçus pour apporter une nouvelle perspective malienne à la gestion des ressources minérales.

C’est donc une réforme qui suscite beaucoup d’espoir et qui nous engage, en tant qu’administration en charge des Mines, à travailler à leur applicabilité. C’est dans ce sens qu’en juillet 2024, les décrets d’application du Code minier et de la loi relative au contenu local dans le secteur minier ont été adoptés. C’est dire qu’il n’est pas venu le temps de tirer un bilan de la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions, mais que nous avons espoir que lorsqu’ils seront appliqués dans leur amplitude, le Mali pourra s’enorgueillir d’un secteur minier totalement intégré à l’économie nationale et capable d’impulser le développement.

Il faut, cependant, souligner la convergence de vue avec l’ensemble des acteurs du secteur minier. En effet, plusieurs entreprises minières, après des négociations, s’apprêtent à migrer sur le code de 2023 et elles s’engagent toutes à appliquer les mesures du contenu local.

 

L’Essor : Aux yeux de nombreux Maliens, la Société de recherche et d’exploitation des ressources minérales du Mali (Sorem) connaît un démarrage timide. Que faut-il aujourd’hui pour rendre cette structure véritablement opérationnelle ?

Pr Amadou Keïta : C’est un constat qui ne prend pas toujours en compte le contexte dans sa globalité et les actions en cours pour permettre à la Sorem de faire face aux défis du moment. En effet, la société d’État Sorem, créée en août 2022, porte en elle une volonté affirmée du président de la Transition, le colonel Assimi Goïta, de remettre l’État au cœur du système de recherche, d’exploitation et de commercialisation des produits miniers.

Son opérationnalisation est l’une des priorités du département des Mines. Cette société a tenu la 2ème session de son conseil d’administration, le 25 juillet 2024 et vient de se voir attribuer par le Conseil des ministres un permis de recherche d’or sur le périmètre de N’Tahaka d’une superficie de 97,41 km², dans le Cercle de N’Tillit à Gao. Les données recueillies suite aux travaux de recherche géologique et minière exécutés dans le district géologique du Gourma oriental, nous ont permis de mettre en évidence plusieurs secteurs d’intérêt potentiel dont celui de N’Tahaka et la Sorem est déjà engagée à approfondir l’exploration en vue d’une exploitation prochaine des richesses du sous-sol au bénéfice des peuples du Mali.

Elle s’active, également, depuis quelques semaines à un positionnement stratégique sur les mines en difficultés dans notre pays. C’est le cas de la mine de Morila qui reviendra sous la coupe de la Sorem afin de s’assurer de la continuité de son exploitation après les moments difficiles que la mine a connus du fait de l’indélicatesse de son précédent opérateur. Les autres actifs miniers appartenant à cette société australienne reviendront également à la Sorem. L’État entend apporter les moyens utiles et adéquats à la Sorem pour mener à bien sa mission.

L’Essor : Où en êtes-vous avec le projet d’installation de l’usine d’affinage d’or ?

Pr Amadou Keïta : Ce projet est une des dimensions du partenariat que nous avons avec la Russie dans le secteur minier et il se présente comme un tournant décisif dans l’organisation et la gestion de ce secteur. Vous n’êtes pas sans savoir que l’objectif final de ce processus est que tout l’or produit sur le territoire du Mali soit raffiné au Mali dans des conditions optimales.

C’est un processus qui évolue bien et demande une coopération intense à plusieurs niveaux. L’État a mis à la disposition de ce projet d’usine d’affinage un espace de 10 hectares et dispose d’un plan de conception sommaire de l’unité. Le cahier de charges ainsi que les éléments nécessaires pour la conduite d’une étude de faisabilité sont disponibles.

Un suivi régulier est fait avec le partenaire russe pour que notre pays dispose, après un peu plus de 60 ans d’exploitation de l’or, d’une usine d’affinage répondant aux standards internationaux.

 

L’Essor : La renégociation du contrat de lithium de Goulamina a permis de porter la participation de l’État et des nationaux à 35% contre 20% précédemment. Que représente cette part en termes de ressources pour les caisses publiques ?

Pr Amadou Keïta : Je voudrais d’abord féliciter le gouvernement du Mali pour cet accord et pour le projet de la mine de lithium de Goulamina, l’un des plus grands projets de lithium en Afrique et dans le monde. Il reflète la politique de diversification que nous prônons dans l’exploitation des ressources minérales de notre pays.

Pour revenir à votre question, il est important de voir au-delà des pourcentages énoncés qui concernent, uniquement, l’apport direct du secteur minier, en termes de dividendes, à l’État et aux nationaux qui seront actionnaires. À ce niveau, une première estimation fait état d’une augmentation du budget de l’État à hauteur d’environ 100 milliards de Fcfa par an. Mais, je voudrais faire noter que ce projet de la mine de lithium de Goulamina aura des apports sous d’autres formes qui permettront une contribution additionnelle significative au financement du développement des secteurs minier et énergétique, du secteur des infrastructures et des transports, en plus du développement local. Il est attendu, par exemple, un minimum de 250 milliards de Fcfa de chiffres d’affaires pour les entreprises locales sous-traitantes et une création d’emplois considérable dans la Région de Bougouni.

Je rappelle également que cette mine est opérée par le partenaire Chinois Ganfeng Lithium Co, l’un des plus grands producteurs de lithium, de batteries de lithium et de produits dérivés de lithium. Ainsi donc grâce à ce projet, le Mali mettra en place une usine de spodumène qui démarrera sa production avant la fin de l’année 2024. Ce sont donc des milliers d’emplois créés en perspective et le développement de toutes les zones riveraines du projet.

 

L’Essor : L’État a-t-il les moyens d’être présent à tous les niveaux de la chaîne d’exploitation pour pouvoir déterminer la rentabilité réelle de cette mine de lithium ?

Pr Amadou Keïta : C’est un chantier qui s’étend, pour nous, à l’ensemble des sociétés minières qui opèrent au Mali. L’administration minière a cette obligation de veiller à une exploitation juste de nos ressources et le nouveau code minier renvoie l’ensemble des services du ministère des Mines et d’autres départements ministériels à un contrôle strict de l’activité minière sur notre territoire.

Notre État doit, dès lors, se donner les moyens pour parvenir à un suivi des sociétés minières autant sur la valeur réelle des exportations que sur le respect de toutes les dispositions de leurs activités notamment les normes environnementales en vigueur. C’est tout le sens de la réforme institutionnelle que nous engageons pour permettre à nos services d’être à même de répondre à cette donne importante pour notre pays.

 

L’Essor : Peut-on alors considérer que la signature, par le Premier ministre, du décret portant annulation du permis d’exploitation de la mine de manganèse à Tassiga, est un des effets de ces réformes ?

Pr Amadou Keïta : Je voudrais d’emblée dire que notre objectif n’est pas de procéder à des annulations de titres miniers. Cela installe des périodes d’incertitudes pour la chaîne de valeur de la mine, des travailleurs aux entreprises sous-traitantes, en passant par les communautés riveraines.

Mais, en tout état de cause, la responsabilité nous incombe de veiller au respect des lois en vigueur en République du Mali. Dès lors, quand les conditions sont réunies pour faire constater des manquements graves dans la convention qui lie l’État à la société minière, nous sommes appelés à faire appliquer la loi dans toute sa rigueur.

Sur la mine de manganèse de Tassiga, attribuée à la société Metal Mass PTY Ltd depuis juillet 2011, notre administration a relevé des faits dont certains appelaient une annulation immédiate et sans mise en demeure du permis. Dans ce cas précis, nous entendons faire prévaloir les intérêts de l’État et de nos populations.

 

L’Essor : Des informations ont fait état de l’exportation frauduleuse d’importantes quantités d’or. L’État peine également à recouvrer la totalité de ses gains auprès des sociétés minières. Quel mécanisme envisagez-vous pour minimiser les pertes ?

Pr Amadou Keïta : Les régimes d’exploitation de l’or au Mali sont au nombre de trois suivant les dispositions du Code minier. La grande mine, la petite mine et l’exploitation artisanale de l’or. Toute exploitation qui se ferait en dehors de ce cadre est illégale et les dispositions du code minier sont très précises sur les sanctions auxquelles s’exposent les personnes ou les sociétés qui se livreraient à une exploitation illégale.

Je dois préciser que notre dispositif se renforce avec la perspective de création d’une brigade spéciale des mines et d’un Commissariat chargé des activités minières. Ces deux organes auront pour mission de mener la répression des infractions à la législation minière. Un troisième organe dédié à l’encadrement et la surveillance des exploitations minières artisanales sera également créé.

C’est la somme d’intervention de toutes ces structures qui devra nous permettre d’améliorer la surveillance du secteur minier et défendre au mieux les intérêts du peuple malien.

Je voudrais réitérer le plein engagement du gouvernement à assainir le secteur minier, par une révision en profondeur du cadastre minier, mais aussi par un travail collégial de contrôle et de répression, le cas échéant.

 

L’Essor : Quelles sont les grandes actions en perspective dans le secteur minier ?

Pr Amadou Keïta : Nous avons besoin de compléter l’esprit de la réforme du secteur minier par un redimensionnement de certains services du ministère des Mines, à commencer par la Direction nationale de géologie et des Mines (DNGM) afin de leur donner le corpus nécessaire aux innovations apportées par le Code minier de 2023 et la loi relative au contenu local dans le secteur minier.

Au-delà, nous restons pleinement engagés dans la complète mise en route de la Sorem qui se concrétisera par la reprise prochaine des activités de la mine de Morila et par le démarrage des activités d’exploration à N’Tahaka. Dans la même foulée, nous maintiendrons le suivi rapproché des mines en difficulté pour préserver les emplois et assurer une production optimale d’ensemble.

Réalisée par

Issa DEMBELE

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