Beaucoup de ces produits psychotropes viennent du Nigeria et du Ghana
Une fin
d’après-midi du mois d’octobre. Nous sommes dans un quartier de Bamako. Pendant
que les croyants musulmans se préparent pour la prière du crépuscule, une
bagarre éclate dans la famille Diarra. Dans les vapes, Issa poursuit son oncle
avec une machette et jure de lui faire la peau s’il le rattrape. N’eut été
l’intervention de justesse d’un membre de la famille un drame familial se
serait produit.
Issa n’est
pas à sa incartade. Son entourage immédiat peut en témoigner. Maintes fois, il
a été impliqué dans des cas de vol perpétrés dans son sillage immédiat.
Aujourd’hui non seulement il a volé, comme à ses habitudes, mais aussi il s’en
est pris à son oncle, patriarche de la maisonnée dont il a tenté de dérober le
téléphone. Pris la main dans le sac, au lieu de faire son mea culpa, Issa se
met en colère et injurie tout le monde.
Comme s’il accuse son oncle de l’avoir
surpris en train de soustraire frauduleusement l’appareil. Ce qui a irrité à
son tour Seïba qui accuse toute la famille dont ses propres parents qui,
d’après ses dires, lui interdisent de corriger son neveu Issa. L’ire de
Seiba finit par se propager dans la famille. Chacun finit par vouloir donner
une bonne leçon à l’impénitent garçon. Lorsque le calme revient, décision est
prise de faire venir son père pour le ramener chez lui, abrégeant ainsi son
séjour dans la grande famille maternelle.
MORT D’UNE
OVERDOSE- Autre quartier, autre histoire semblable. Nous sommes à Hamdallaye,
un des vieux quartiers de la capitale. Ici l’agresseur est un accro à «zombie»,
une des nouvelles trouvailles des toxicomanes locaux. Les utilisateurs la
décrivent comme celle qui «cale d’un seul coup». Le chercheur Youssouf Kanté,
directeur du Centre «Miracle», spécialisé dans la lutte contre les stupéfiants,
nous apprend que «zombie» a la particularité de n’avoir d’effet que sous le
soleil. En d’autres mots, la substance hiberne dans le corps de son
consommateur jusqu’au moment où le soleil darde ses rayons lumineux.
Le garçon
d’Hamdallaye en est un consommateur invétéré. Renvoyé de l’école pour
consommation de drogue, sa mère en a plus que marre de lui et jure sur la
tête de ses ancêtres de ne plus s’occuper de lui. «Il n’est pas mon seul
garçon. Je n’en peux plus. Je suis fatiguée. Si je ne le lâche pas, il finira
par me tuer. Je vais me consacrer à l’avenir des autres», laisse-t-elle
entendre avec dégoût et dédain, chaque fois qu’on évoque le nom de l’adolescent
de 17 ans.
À quelques
pâtées de maisons de la mère du consommateur de «zombie», celle qu’on surnomme
C.F est inconsolable depuis 4 mois. Le plus jeune de ses enfants est mort d’une
overdose d’après le certificat de décès délivré par une structure hospitalière
de la place. Papou, comme on le surnommait, a été retrouvé un matin mort dans
son lit. Connaissant la cause de sa mort bien avant le certificat de décès, sa
famille a réduit au strict minimum le protocole funéraire. Papou sera-t-il la
première ou la dernière victime des stupéfiants dans sa famille ? Rien
n’est moins sûr. On chuchote dans les parages que ses quatre frères
partageaient avec lui le même vice.
«La drogue est une chose que seuls les
consommateurs peuvent apprécier», justifie Oumar, un utilisateur, posté près
d’une montagne d’ordures d’où émanait une odeur pestilentielle. Pour appuyer
ses propos, il raconte une anecdote : «La panacée» (mélange du cannabis et
du coffe) est corsé. Avant, je ne prenais que le cannabis, mais au fil du
temps, j’ai connu le coffe à travers un ami qui faisait le mélange de cannabis
et de coffe. Un jour, il est venu chez moi, comme j’étais malade, il m’a fait
injecter ce mélange. D’un seul coup, je me suis mis sur pied».
Notre
interlocuteur affirme avoir aussi découvert K.O. appelé «caillou» par la suite
et il en est tombé amoureux. «Depuis qu’il le prend, il ne rentre plus chez
lui. Il vadrouille dans les alentours du Stade Modibo Keïta», nous apprend un
de ses proches. En toxicomane complet, il porte dans son sac les outils
nécessaires pour s’envoyer dans les nuages (cuillère, seringue, briquet et bien
sûr la poudre blanche). «Sans ma dose régulière, raconte-t-il, je ne plane
pas, je tremble, des larmes coulent de mes yeux ; je n’arrive pas à dormir, ni manger.
L’envie d’en
prendre me ronge», récapitule le bonhomme qui dit regretter son mariage au
cours duquel il a eu un enfant, et qui n’a duré qu’une petite année en raison
de ses humeurs maussades de drogué. Très
loquace pendant notre rencontre, Oumar nous résume en quelques mots le modus
operandi des vendeurs de la drogue. Très souvent, la transaction s’effectue par
échange de regard ou de poignée de mains, ou encore en remettant une banale
enveloppe contenant de la poudre.
DEUX TYPES
DE DROGUÉS- Oumar décrit les consommateurs comme étant très des jeunes et les
met dans deux paniers. Le premier contient, selon lui, ceux qui sont connus de
tout le monde comme les enfants de la rue, des apprentis chauffeurs et certains
mendiants. Dans le second, il place les enfants issus de familles riches ou à
revenus moyens.
Le
neuropsychiatre Amara Kanouté caractérise les drogues sur le marché malien,
selon leur accessibilité, leur nocivité et le comportement de leurs
consommateurs. Pour le spécialiste, le cannabis, la marijuana, le haschich, le
chanvre indien, le coffe et le caillou sont des drogues peu coûteuses, mais
très dangereuses. Elles rendent agressif
et l’apparence des consommateurs est des moins enviables. Par contre, ceux qui
prennent le crac, la cocaïne, l’amphétamine sont calmes et d’apparence soignée.
Le toubib
se désole de noter que des gens prennent la drogue sans se rendre compte. C’est
le cas des consommateurs de certains comprimés dits de la rue. Il cite, entre
autres, des substances auxquelles on a attribué des noms dans la langue la plus
parlée du pays, le bamanankan, comme «sanprin» et «banaseji».
Sur l’origine de ces produits, un dealer bien imprégné qui a souhaité garder l’anonymat assure qu’ils viennent, du Nigeria et du Ghana et sont conditionnés sur place puis distribués par des détaillants locaux. Ces derniers ne prennent pas toujours de l’espèce sonnante et trébuchante.
Le système
de troc a cours dans certains quartiers du centre-ville où les grossistes sont
légion. Les engins à deux roues, les vêtements, les chaussures peuvent être
échangés contre de la drogue. Certaines femmes, soi, disant des vendeuses
ambulantes des produits dits de santé, s’approvisionnent en échange d’une
partie de jambes en l’air.
L’Office
central des stupéfiants (OCS) fait état pour l’année 2024 de 701 personnes
mises en cause dans les affaires de drogue. Parmi celles-ci, 201 sont des
consommateurs et 224 des revendeurs. Les nationaux constituent le gros du
contingent. Ils sont en effet 534
Maliens contre 11 étrangers qui ont pu être cueillis à ce jour. La valeur des
produits saisis est estimée à plusieurs dizaines de milliards de Fcfa.
La loi
n°01-078/du 18 juillet 2001 en son article 94 punit d’un emprisonnement de 5 à
10 ans de réclusion et d’une amende allant de 5 à 50 millions de Fcfa, pour
l’exploitation, l’importation et le transport international de drogues à haut
risque. Au plan local, l’offre, la mise en vente, la distribution, le courtage,
la vente, la livraison à quelque titre que ce soit, l’envoi, l’expédition, le
transport, l’achat, la détention ou l’emploi de drogues à haut risque sont
sanctionnés par l’article 96 du même texte.
Les contrevenants s’exposent à un
emprisonnement de 5 à 10 ans et au payement d’une amende de 200.000 à 2 millions de Fcfa ou de l’une de ces deux
peines seulement. Face au
fléau une commission de sensibilisation des jeunes sur les effets néfastes de
la consommation des drogues été mise en place. L’initiative est du Président de
la Transition, après l’échec de plus de 2.000 jeunes candidats à l’enrôlement
dans les différents corps de l’Armée.
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De la drogue dans le sang
L’information
est tombée comme un couperet. Lors d’un point de presse de la Direction de
l’Information et des relations publiques des Armées, (Dirpa), le premier
responsable de la structure, le colonel-major Souleymane Dembélé, a révélé que
depuis deux ans, l’Armée peine à combler ses besoins en recrues, parce que des
résidus de drogue ont régulièrement été retrouvés dans le sang des candidats.
Dans la
dernière vague des candidatures à intégrer les Forces armées et de sécurité du
Mali, plus de 2.000 jeunes ont été recalés pour la même raison (de la drogue
dans le sang). La rigueur dans les analyses de sang a permis de faire cette
découverte malheureuse. «C’est aujourd’hui un problème de santé publique. La
jeunesse malienne est malade. Ce qui se passe actuellement, si ça continue
comme ça, nous ne savons pas ce qu’il adviendra de notre jeunesse dans 10 ou 20
ans», s’inquiète le directeur de la Dirpa, qui a invité la population à en
prendre conscience et à veiller sur les enfants. L’officier supérieur déplore
le comportement de certains parents qui approvisionnent leurs enfants pour les
rendre plus «supportables». Car en manque, ils deviennent comme enragés.
La
gynécologue Dr Aïcha Diakité est également de cet avis. Pour elle, les
stupéfiants nuisent aux organes vitaux du corps humain comme le foie, le
cœur, l’estomac. Mais aussi sur l’appareil génital. Elle
explique ceci : «En ma qualité de gynécologue, je reçois beaucoup de
patients mariés, mais qui n’arrivent pas à avoir d’enfants, car l’homme ne
produit pas suffisamment de spermatozoïdes ou en produit de mauvaise qualité» à
cause probablement des effets de ces produits psychotropes.
Autant
l’État s’engage, autant certains citoyens s’impliquent. C’est le cas de
Youssouf Kanté, directeur du Centre Miracle qui héberge et soigne des malades
psychiquement atteints et ceux dont les parents estiment qu’ils sont sous
l’emprise de Satan ou des esprits malveillants. Ou encore ceux rendus fous par
la drogue. La thérapie ici comprend la diffusion des versets du Saint Coran
autour d’une armée de 200 patients répartis entre douze cellules (bloc). Pour
le directeur du Centre Miracle s’occuper de tels patients comporte des risques
énormes, car le toxicomane se sent limité dans ce qu’il croit être sa liberté.
Les sevrer leur paraît donc comme une punition et ils deviennent rancuniers, donc dangereux. Outre la dangerosité des malades, il existe une autre situation. En effet, certains parents se débarrassent littéralement de leurs enfants accros aux substances psychotropes. Ce qui n’est pas facile à gérer par son établissement dont les ressources sont limitées.
Il y a donc lieu de s’inquiéter car, comme le disait Charles Martin, l’avenir de toute nation repose sur sa jeunesse, celle dotée de caractère noble et d’ambitions élevées.
Maïmouna SOW
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