Le Mali est sous sanctions de la Cedeao et de l’Uemoa depuis peu. Le temps des émotions passé, quel est votre état d’esprit aujourd’hui ?
Choguel Kokalla Maïga : Notre pays vit une situation
difficile dont nous allons certainement sortir. Nous sommes une vieille Nation,
plus que millénaire, qui a vécu de multiples épreuves pendant son parcours.
Celle-là n’est qu’une de ces épreuves. Comme toutes les grandes Nations qui ont
connu des périodes de déliquescence ou de faillite dans leur histoire, mais qui
se sont relevées, le peuple malien va se relever grâce à ce régime de
Transition. Nous sommes déterminés et confiants en l’avenir. Les sanctions de
la Cedeao et de l’Uemoa visent, officiellement, à aider notre peuple à sortir
de cette situation difficile ; mais quand on y regarde de près, la finalité
de ces mesures, c’est de déstabiliser l’état malien. Il n’y a aucun doute là-dessus.
Ces mesures sont par conséquent illégales et illégitimes.
Je vous rappelle que la Cedeao est née au Mali en 1975, à
l’initiative des présidents du Mali et du Nigeria. L’idée a ensuite été partagée
par les autres chefs d’état de la sous-région. Ils se sont donc tous mis
ensemble pour mettre en place cette organisation à vocation économique qui, par
la suite, a évolué pour prendre des dimensions politiques. Je dis souvent que
le Mali et la Cedeao, c’est comme un père et son fils. Aujourd’hui, le vieux père
est malade. Ce qu’il attend de son fils, c’est de l’aider, de lui tenir la main
pour qu’il puisse se relever. Depuis quelques années, il faut le reconnaître,
la Cedeao fait de son mieux. Comme un père et son fils, nous pouvons nous
disputer, mais jamais nous séparer. Nous allons nous retrouver dans les
semaines, les mois et, peut-être, les années à venir.
L’Uemoa, elle, est une organisation à caractère économique
et financier. La jonction des sommets de la Cédéao et de l’Uemoa, le 9 janvier
2022, sur le Mali était déjà suspecte, mais la dureté des sanctions prises procède
d’un abus de pouvoir au regard des textes fondateurs de ces deux organisations.
Celles-ci ont profité de l’extrême faiblesse où l’état malien a été plongé par
un manque de leadership éclairé et de maturité stratégique. Aujourd’hui, le
Mali est devenu le grand malade, voire la risée de la sous-région et du monde.
Certains pays se servent de la Cedeao et de l’Uemoa pour régler des comptes
inavoués avec le gouvernement malien d’aujourd’hui.
Nous avons expliqué à la Cedeao, à plusieurs reprises, que
la Transition au Mali était différente de toutes les autres transitions ; que
la situation au Mali devait être analysée avec discernement, et non pas à
partir de clichés établis depuis des années. Si nous ne réglons pas les
conditions qui ont provoqué l’avènement de cette Transition, nous nous
retrouverons dans de nouveaux coups d’État. Notre pays en est déjà à quatre
coups d’état en moins de trente ans. Il faut à présent se poser les bonnes
questions et les résoudre définitivement. Or, ce qu’on fait généralement en
Afrique, c’est que quand un caniveau est plein d’ordures, on prend une pelle,
on enlève les ordures qu’on dépose ensuite au bord du caniveau: avant la
prochaine saison des pluies, il se remplit de nouveau d’ordures. Nous, nous
voulons faire en sorte qu’à la fin de cette Transition, il n’y ait plus
d’intervention de l’armée dans la vie politique nationale.
Les sanctions de la Cedeao et de l’Uemoa sont illégales non
seulement au regard des textes de ces organisations, mais aussi au regard des
conventions internationales. La convention internationale appelée «Convention
des Pays sans littoral», que notre pays a ratifiée en 1987, interdit l’embargo
contre un pays sans littoral, c’est-à-dire sans accès à la mer. La Cedeao et
l’Uemoa n’en ont eu cure. L’Uemoa s’est transportée à Accra pour son sommet, en
l’absence du Mali, qui n’a été invité que 48 heures auparavant, sans même qu’on
lui indique l’ordre du jour. C’est dire qu’elle a traité le Mali comme moins
que rien ! Nous ne pouvons pas accepter cela! Aucun dirigeant malien ne peut
accepter l’humiliation de son peuple. Nous avons fait savoir à l’Uemoa que nous
ne savions pas l’ordre du jour de la rencontre et que nous ne pouvions pas nous
y rendre si elle ne nous le communiquait pas. Mais son but réel était
d’humilier notre peuple, de déstabiliser notre pays, car les mesures qu’elle a
décidées ne sont prévues nulle part dans ses propres textes.
La Cedeao, pour sa part, nous a demandé de présenter, avant
le 31 décembre 2021, un chronogramme électoral, quel qu’il soit, pour servir de
base de discussions. Nous l’avons fait. Ce que nous ne voulions pas, c’était de
présenter à la Cedeao un chronogramme non validé par le peuple malien. Mais dès
qu’un chronogramme a été validé le 30 décembre 2021, de commun accord avec le
président, une délégation s’est rendue à Accra pour le présenter à la Cedeao.
Nous avons remarqué que le document a aussitôt fait l’objet d’une fuite, suivie
d’une forte campagne de diabolisation du gouvernement malien. Quelques jours
plus tard, l’Envoyé spécial de la Cedeao, le président Goodluck Jonathan, un
homme que nous respectons beaucoup pour tous les efforts qu’il fournit, est
venu à Bamako. Il a discuté avec le Président de la Transition. Il a été
convenu que le Mali fasse une nouvelle proposition de chronogramme. Pour ne pas
donner l’impression aux chefs d’état de la Cédéao que nous les défiions, nous
avons présenté ce nouveau chronogramme.
Nous nous attendions, entre
partenaires, entre amis, entre frères, que la Cedeao nous dise : « Votre
chronogramme, nous l’acceptons», ou bien qu’elle nous dise : «Asseyons-nous
pour discuter du nouveau chronogramme». Au lieu de cela, les chefs d’état
se sont réunis et, en toute illégalité, ont décidé de punir le Mali, un pays
pourtant victime de terrorisme, enclavé, frappé par le coronavirus, la sécheresse,
la faim (à cause des récoltes brûlées par les terroristes), un pays à terre…
C’est pendant que notre pays se trouve dans ces périls qu’on prend un marteau
pour l’achever !
Mais notre peuple a appris à s’assumer tout au long de
l’histoire. La pénétration coloniale a duré six mois dans certains pays
voisins. Chez nous, elle a duré de 1878 au 16 mai 1916, soit 38 ans de combat !
Il a fallu 38 ans pour que, par les armes, la puissance coloniale puisse
soumettre notre pays ! Pendant les 70 années suivantes, elle n’a jamais passé
une année en paix. Toutes les ethnies maliennes, les Touaregs, les Peuls, les
Bwas, les Bambaras, les Miniankas, les Senoufos, etc., se sont soulevées tour à
tour ou simultanément. Nous ne sommes pas un peuple qu’on peut vassaliser,
qu’on peut rendre esclave par procuration comme on tente de le faire
aujourd’hui !
Sur le plan légal, de quels recours dispose aujourd’hui le Mali ?
Nous avons élaboré un Plan de riposte contre ce processus de vassalisation de l’état malien. Un plan destiné à sauvegarder la souveraineté et l’intégrité territoriale de notre pays. Parmi la batterie de mesures élaborées figurent des mesures juridiques. Nous allons contester les décisions de sanctions devant les instances appropriées au niveau sous-régional, africain et international.
Qu’est-ce que vous avez à dire aux citoyens paniqués par ces événements ?
Choguel Kokalla Maïga : L’effet recherché par les décisions
de la Cedeao et de l’Uemoa, c’est exactement cela : l’effet de surprise et
de panique ! Un peuple qui est déjà à terre, on veut l’achever ! Mais
vous avez vu comment les Maliens ont repris le courage qui les caractérise.
Nous savons qu’il y en a, parmi les décideurs de la sous-région, qui comptaient
sur un soulèvement populaire pour renverser le gouvernement malien. Mais ils ne
connaissent pas l’état d’esprit des Maliens ! Dans certains aéroports, y
compris ceux de pays non membres de la Cédéao, on a bloqué des Maliens en leur
disant que c’est le gouvernement malien qui refusait l’atterrissage des
avions au Mali alors que c’était faux. C’est une guerre perdue
d’avance contre le Mali. Les Maliens comprennent très bien les jeux et
enjeux qui se cachent derrière ces sanctions, lesquelles n’ont rien à voir avec
les intérêts supérieurs du peuple malien. Il y a là un savant habillage que
nous comprenons très bien !
Le président de la Transition a appelé les Maliens à la mobilisation.
Qu’est-ce qu’il a voulu dire : qu’ils se serrent les coudes parce qu’il y
a une situation difficile à vivre ? Ou plutôt qu’il n’y a pas le feu en la
demeure ?
Choguel Kokalla Maïga : Le président de la Transition a
fait passer un certain nombre de messages d’une très grande portée politique et
morale. Il a d’abord invité la Cedeao à tenir compte de la complexité de la
situation au Mali et de l’état psychologique de notre pays. Il a ensuite lancé
un appel patriotique aux Maliens, pour qu’ils se retrouvent et fassent l’union
sacrée pour sauver notre pays. Le président a ensuite invité au dialogue. Il
n’a pas fermé la porte ! Nous sommes un pays de dialogue, mais ce que nous
ne voulons pas, c’est de nous laisser humilier, piétiner et réduire à l’esclavage.
Le peuple malien ne l’acceptera jamais !
Faut-il craindre un isolement du pays ? Sur quoi peut-on
compter aujourd’hui ?
Choguel Kokalla Maïga : Notre pays ne sera jamais isolé. Nous avons des amis. Je voudrais saisir l’occasion pour remercier certains chefs d’état qui font preuve de compréhension et de compassion envers notre peuple. Nous comprenons les pressions et les influences qu’ils subissent. Nous ne confondons pas vitesse et précipitation. C’est pour cela que nous ne fermons pas la porte au dialogue et aux négociations. Nous voudrions remercier, de façon particulière, nos frères de Guinée, d’Algérie, de la Mauritanie, qui ont pris une position ouverte en notre faveur. Nous saluons aussi l’ensemble des peuples africains, que nous savons solidaires de notre cause. Sans exagération, le destin de l’Afrique se joue aujourd’hui au Mali. C’est dans les difficultés qu’on reconnaît ses amis. Même les gouvernements des pays qui ont pris des sanctions contre le Mali sont, en âme et conscience, avec nous aujourd’hui.
Que dit exactement le chronogramme soumis à la Cedeao ?
Choguel Kokalla Maïga : Nous avions tenu d’abord à ce
que le peuple malien se prononce à travers les Assises nationales de la
refondation, qui ont été un grand lieu de débats, avec 84.000 à 90.000
participants - du jamais vu dans l’histoire du Mali ! Toutes les forces
politiques significatives, toutes les forces sociales et religieuses y ont
participé. La Cedeao prétend que ces assises n’ont pas été inclusives alors
qu’il n’y a pas un seul parti dont les militants de base n’y aient pas participé.
Des présidents de partis, des maires ont présidé les travaux à la base et ont
signé les procès-verbaux au nom de leurs partis. Certains ont confirmé à
la direction de leurs partis qu’il ne pouvait y avoir d’élections actuellement
dans leurs localités. Les assises ont bel et bien été inclusives, le peuple
s’est prononcé et nous avons, sur la base des décisions du peuple, dégagé un
chronogramme électoral pratique.
Une Transition n’est pas une fin soi, pas plus
qu’une élection. L’erreur de la Cedeao, c’est de tout réduire aux élections. Le
Mali n’a fait que des élections depuis 30 ans et depuis 30 ans, il n’a
cessé de sombrer, de vivre des coups d’Etat, dont le dernier est même intervenu
à la suite d’élections ! Je voudrais rappeler que les jeunes officiers
patriotes qui ont parachevé, le 18 août 2020, la lutte du peuple malien portée
par le M5-RFP ne sont pas sortis spontanément des casernes pour prendre le
pouvoir. Ce sont des officiers qui ont passé 15 à 18 ans sur le théâtre des opérations
militaires au nord ; ils connaissent les réalités, ils ont vécu toutes les
trahisons et tous les coups bas que notre armée a subis.
Ils ont vu comment on
utilisait une partie de l’armée pour tirer sur la population dans les mosquées,
pendant des jours. Le peuple a, malgré tout, continué sa lutte pendant des
mois, laissant des dizaines de morts sur le champ de bataille… Où était la
Cedeao en ce temps ? Lorsque nous avons rencontré les dirigeants de la
Cedeao, nous leur avons demandé comment un pouvoir dit démocratique pouvait
faire tirer sur sa population et que la Cédéao continuait d’exiger son
maintien. La Cedeao nous a répondu qu’elle ne pouvait pas demander la démission
d’un président de la République élu...
Il y a des Transitions qui surviennent parce le chef de l’état
est décédé. Il y en a d’autres qui surviennent parce que le Président a violé
la loi et a été destitué. Chez nous, la Transition est survenue pour cinq
raisons. La première montre les incohérences de la Cedeao elle-même. En effet,
en 2018, lorsque l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta a été déclaré réélu,
une crise politique a éclaté et a duré 8 mois. La Cedeao a alors envoyé au Mali
une délégation de haut niveau dirigée par le ministre des Affaires étrangères
du Nigéria.
Après plusieurs jours de concertation avec les acteurs maliens,
elle a déposé un rapport qui date d’octobre 2018 et qui stipule qu’ « on
ne doit plus organiser des élections en République du Mali avant de faire des réformes
qui sont reportées depuis plus de 20 ans ». C’est la Cedeao qui l’a écrit !
Le gouvernement d’IBK a refusé de faire ces réformes et le résultat est là !
L’étincelle qui a mis le feu aux poudres, c’est la falsification des résultats
des élections législatives. Donc, le peuple malien exige de faire en sorte
que les élections soient désormais transparentes, qu’on minimise les risques de
contestation des élections. Voilà la première demande du peuple malien.
Deuxième demande du peuple : la fin de l’impunité. Nous
avons vu un pouvoir politique utiliser une partie des forces armées et de sécurité
contre le peuple pendant des jours. Le peuple demande là-dessus des comptes.
Par ailleurs, l’une des causes principales de la déliquescence
de l’état malien est la corruption, qui a gangrené tous les corps de notre société,
désarticulé notre armée dont 20 à 30% des ressources ont été détournées. L’état
commande, par exemple, six hélicoptères, mais au finish, seuls deux sont présentés
aux Maliens, sans que l’on sache où sont partis les quatre autres. Trois mois
plus tard, on se rend compte que les deux présentés sont des hélicoptères
d’occasion achetés au prix du neuf et qui sont dépourvus de certaines
fonctionnalités ! En 2012, le gouvernement de Transition avait évalué les besoins
de l’armée à 400 milliards de Fcfa. Arrivé au pouvoir, l’ancien président
Ibrahim Boubacar Keïta les a réévalués à 1.230 milliards.
Les Maliens ont
applaudi des deux mains, y compris l’opposition qui a voté la loi de
programmation militaire… Sept ans plus tard, nos soldats meurent de soif et de
faim ; quand ils sortent pour aller chercher de l’eau, les terroristes les
tuent ! Est-ce qu’on a besoin d’avoir été dans les grandes écoles d’ingénieurs
pour savoir qu’on ne peut pas construire un camp dans le désert sans prévoir un
forage d’eau ? Le premier besoin de l’homme dans le désert, c’est l’eau.
Quand vous voyez tout cela, vous finissez par vous poser des questions.
L’ex-chef de l’opposition, Soumaïla Cissé (paix à son âme!), a saisi l’Assemblée
nationale à l’époque pour qu’on ouvre des enquêtes. Sa demande a été rejetée.
Un ambassadeur d’un grand pays a même eu à dire qu’il n’encouragerait jamais
les citoyens de son pays à venir investir au Mali à cause de la corruption. La
lutte contre la corruption est donc la troisième revendication du peuple !
Quatrième revendication du peuple : les réformes
politiques et institutionnelles. Cela fait 20 ans qu’on tente de réformer la
Constitution dont les tares bloquent notre système démocratique. Le peuple
demande que le gouvernement de Transition procède aux réformes politiques et
institutionnelles nécessaires.
Enfin, le peuple demande la restauration de son outil de défense,
qui a été désarticulé, détruit… Il faut sécuriser les Maliens avant d’aller aux
élections. En 2013, lorsqu’un gouvernement démocratique a été élu, l’insécurité
se limitait à Kidal. Sept ans plus tard, malgré la présence de Barkhane, de
Takuba, du G5-Sahel, d’EUCAP et d’EUTM, elle s’est étendue dans le pays comme
une gangrène et a atteint 80% du territoire. Le fait d’être élu ne vous donne
pas droit de vie et de mort sur les citoyens. Le premier élément de légitimation
d’un pouvoir politique, pour ceux qui connaissent l’histoire de la constitution
des états, c’est la capacité de l’état à assurer la sécurité des citoyens. Un état
qui ne peut pas assurer la sécurité des personnes et de leurs biens ne peut pas
être légitime !
Voilà les cinq revendications du peuple malien. Si on juge
la Transition en ignorant ces revendications, on se trompe. Notre rôle
aujourd’hui, c’est de faire en sorte que la Transition règle ces cinq problèmes
avant de passer le pouvoir à un gouvernement qui n’aura plus qu’à s’occuper des
questions de développement.
Donc, ce sont tous ces chantiers que le chronogramme prend
en compte ?
Choguel Kokalla Maïga : Bien sûr ! Et on a prévu tout,
avec des dates… On nous dit : «Non, faites les élections et le démocratiquement
légitime élu va faire les réformes !». Mais comment ce gouvernement
dit démocratique va-t-il être élu ? Aucun chef de parti ne peut aller battre
campagne aujourd’hui à l’intérieur du pays ! Si les militaires et le
gouvernement de Transition voulaient tricher avec le peuple malien, ils présenteraient
un candidat qui passerait facilement car à part l’armée, personne ne pourrait
aller à l’intérieur du pays ! Or, si on procédait ainsi, ce sont les mêmes gens
qui feraient des manifestations pour dire que les élections n’ont pas été
transparentes et ceux qui ont un agenda caché de déstabilisation de l’état
malien les soutiendraient… Nous n’allons jamais tomber dans ce piège-là !
Vous parlez de chronogramme provisoire : quand est-ce que le
chronogramme sera définitif ?
Choguel Kokalla Maïga : Le peuple demande une
Transition de six mois à cinq ans. Le gouvernement, en fonction des problèmes
et des délais nécessaires pour les résoudre, a élaboré un chronogramme. Nous
n’allons jamais, aussi longtemps que nous aurons le soutien de notre peuple,
commettre l’erreur d’organiser des élections dont sortirait un Président
contesté et qui déboucheraient sur un nouveau coup d’état !
Quid donc du respect des engagements qui avaient été préalablement
pris vis-à-vis de communauté internationale et dans la Charte de la Transition ?
Choguel Kokalla Maïga : Dans l’armée, il y a une maxime
très pédagogique selon laquelle « la mission est sacrée, mais c’est le
terrain qui commande». Lorsque nous sommes venus aux affaires suite à la
rectification de la Transition, quelle était la situation du Mali ? Des grèves
illimitées partout, un pays bloqué... Même les opérations militaires sur le
terrain étaient menacées. Aujourd’hui, nous avons pacifié le front social.
Lorsque nous venions, il n’y avait aucune poursuite dans le cadre de la lutte contre
la corruption. Aujourd’hui, tous les dossiers emblématiques de corruption sont
entre les mains de la justice. Ce sont des gouvernements légitimes qui ont
orchestré la corruption, qui ont mis les dossiers de corruption dans les
tiroirs, qui ont bloqué tout ! Aujourd’hui, il y a une volonté politique
de combattre le fléau : la justice est libre et sort les dossiers. Il s’agit de
dossiers qui existaient bien avant la Transition, ils n’ont pas été fabriqués
par le gouvernement de Transition !
Ensuite, on nous invite à organiser les élections sans
passer par l’organe unique de gestion des élections. Si nous prenions cette
voie, nous tomberions dans les mêmes contestations postélectorales qui ont
provoqué la chute du précédent régime ! Les réformes, ce sont les gouvernements
légitimes qui ont refusé de les faire ! L’Accord pour la paix et la réconciliation,
signé depuis 2015, exige des réformes que les gouvernements dits légitimes
n’ont jamais pu faire !… Nous voulons qu’à la fin de la Transition, nous ayons un
pays réhabilité, un état stable, des institutions solides.
Quelle réponse donnez-vous à ceux qui vous reprochent de ne
pas tenir parole ?
Choguel Kokalla Maïga : La politique, c’est l’art de réaliser
ce qui est possible et de rendre possible ce qui est nécessaire. Ce qui est nécessaire
aujourd’hui, c’est de restaurer la dignité du peuple malien, sa sécurité, son
indépendance… Ce qui est possible, c’est de se donner le temps d’une Transition
responsable… Ceux qui sont dans la propagande et les formules-chocs ne sont pas
connectés à la réalité.
Jusqu’où peut aller la crise avec la Cedeao ?
Choguel Kokalla Maïga : Je suis persuadé que si vous
enlevez les pressions et les influences étrangères, qui procèdent d’un autre
agenda, nous allons nous comprendre entre Africains. La Constitution malienne
dit que le Mali est prêt à léguer tout ou une partie de sa souveraineté pour réaliser
l’unité africaine. C’est pourquoi, le Mali fait partie des fondateurs de toutes
les organisations africaines et régionales. Tous les peuples soutiennent le
Mali dans son combat, parce que c’est un combat de dignité.
Certains vous demandent de sortir de l’Uemoa et de la
Cedeao...
Choguel Kokalla Maïga : C’est une question qui nécessite
des réflexions à long terme. S’il y a un choix à faire entre la restauration de
la dignité, de la souveraineté, de l’intégrité territoriale de notre pays et la
sortie des organisations sous-régionales, le peuple malien saura le faire. Ma
conviction est qu’on n’en arrivera pas jusque-là. Ni le Mali, ni la Cedeao n’y
ont intérêt.
La Cedeao est-elle à la solde de quelqu’un ? Si oui, de
qui ?
Choguel Kokalla Maïga : Les décisions de la Cedeao sont
manifestement influencées par des prises de positions extra-africaines. On a
besoin de rafraîchir la mémoire des uns et des autres. La crise malienne est
survenue en 2012. Et l’une de ses raisons, c’est l’absence de leadership éclairé
et de maturité stratégique qui a fait qu’on a détruit notre outil de défense.
Ceux qui ont détruit la Libye pour reprendre les mercenaires et leur dire
d’aller couper le Mali en deux, ce n’est pas nous, ce sont des responsables
français dont nous avons les noms - tout est documenté. Des responsables des
ex-mouvements rebelles affirment que c’est la France qui leur a dit : « On
va diviser le Mali et vous donner l’indépendance». Ils ont compris plus tard
que la France voulait plutôt les utiliser pour asservir l’état malien.
La Cedeao parle de force d’attente pour nous intimider. En
2012, il y a eu le sommet de la Cedeao à Dakar. Comme par hasard, surgit le
ministre des Affaires étrangères de la France, Alain Juppé. Quand la Cedeao décide
de mobiliser une force d’attente de 3.000 hommes pour libérer le Mali, M. Juppé
répond que ce nombre (3.000 hommes) est trop élevé par rapport à 500 combattants
irrédentistes. Le Mali et la Cedeao, à travers l’Union africaine, demandent
alors la création par l’ONU d’une force internationale appelée MISMA. Ceux qui
ont commencé à dénigrer cette MISMA, ce sont des diplomates français… On a fait
traîner les choses de manière à créer la MINUSMA. À la création de la MINUSMA,
il a été dit qu’elle aiderait le Mali à lutter contre le terrorisme. Plus tard,
on est venu nous raconter qu’elle devait plutôt servir au maintien de la paix
et non faire la guerre.
Quant à l’opération française Serval, elle avait
officiellement trois objectifs : éradiquer le terrorisme, aider à
restaurer l’intégrité du territoire malien et appliquer les résolutions des
Nations Unies. Huit ans après sa création, le terrorisme, au lieu d’être éradiqué,
a quitté l’extrême nord du Mali pour se répandre dans 80% du pays ; l’intégrité
du territoire n’a été pas restaurée ; les résolutions des Nations-Unies, elles,
changent chaque année… Tirez vous-même la leçon !
En 2014, lorsque l’armée malienne a décidé de recouvrer
l’intégrité du territoire national, il y a eu des affrontements dans l’extrême
nord ; des soldats se sont réfugiés dans le camp de la MINUSMA. Ces soldats ont
été désarmés et leurs armes confisquées. Quand on a réclamé ces armes, le
commandant de la Minusma, le général français Hervé Gomard, a répondu que c’était
un butin de guerre qui appartenait désormais à la MINUSMA ! En 2016, lorsque
l’opération Barkhane a été installée, son commandant a fait le tour de ses
forces dans les pays concernés. Il est allé au Tchad où il fait la revue des
troupes. Savez-vous ce qu’il a dit ? Comme le rapporte un journaliste français,
le commandant de Barkhane a dit à ses troupes : «Nous sommes venus ici il
y a 100 ans, nous sommes partis il y a 60 ans (au moment des indépendances),
nous sommes revenus pour 100 ans !». Les Africains comprendront maintenant
pourquoi au Mali nous avons toutes ces forces internationales alors que la
situation sécuritaire ne fait qu’empirer.
La lettre que le Président malien
Dioncounda Traoré a écrite à l’état français pour demander son intervention en
janvier 2013, aucune copie n’en existe ni à la présidence, ni au ministère des
Affaires étrangères du Mali. L’original de cette lettre se trouve en France et
c’est sur le site du Sénat français que nous l’avons retrouvée lorsque nous en
avons eu besoin récemment pour demander la relecture des accords militaires déséquilibrés
qui font que notre armée ne peut même pas survoler son territoire sans
l’autorisation de la France. Ces accords militaires, nous voulons les relire et
cela fait partie des raisons pour lesquelles la France dresse le monde entier
contre nous. Le 17 novembre 2015, le commandant de Barkhane a animé une conférence
de presse où il a affirmé que certains groupes armés avaient un pied chez les
mouvements terroristes et un pied dans l’Accord pour la paix et la réconciliation
issu du processus d’Alger.
Il n’était pas prévu de militaires français sur notre sol en
2013. Les Français ont respecté cet accord à Konna, à Gao... mais arrivés à
l’extrême nord du pays, ils ont bloqué l’avancée de l’armée malienne et
fait venir sur le territoire malien 4.000 militaires français, avec un budget
d’un milliard de Fcfa par jour. Ils ont ensuite fait venir d’autres Africains,
puis la MINUSMA, tout en interdisant à l’armée malienne d’accéder à une partie
de son territoire, alors qu’ils clamaient que leur intervention avait pour but
de recouvrer l’intégrité territoire malien ! L’actuel Exécutif de Transition,
avec à sa tête le colonel Assimi Goïta, a décidé que nous n’allions plus
demander d’autorisation à qui que ce soit pour survoler notre territoire.
Est-ce à dire que vous allez interdire le survol de notre
territoire par des aéronefs militaires étrangers ?
Choguel Kokalla Maïga : C’est la Cedeao qui a pris
cette mesure. Le lendemain, on a débarqué des Maliens à l’aéroport de Paris en
leur disant que ce sont les militaires maliens qui interdisaient que les avions
atterrissent à Bamako, ce qui n’était pas vrai. Après cela, les mêmes gens ont
dit que c’était sur ordre de l’élysée. Mais pendant ce temps, un avion quitte
un pays de la Cedeao et pénètre sur notre territoire, ne sachant pas
qu’aujourd’hui, nous nous sommes donné des moyens de surveillance. Nous
l’identifions. Quand l’avion a su qu’on l’avait identifié, il éteint le
transpondeur. Quand il a compris que nous continuions à suivre ses mouvements,
il éteint la radio. Nous avons publié un communiqué pour mettre en garde.
Pendant que la Cédéao songe à mettre en place une force d’attente contre nous,
nous avions intérêt à savoir ce qu’il y avait dans cet avion intrus,
pourquoi il est entré sur notre territoire et pourquoi il tentait de se
cacher. Nous avons demandé aux propriétaires de l’avion d’arrêter de telles
intrusions et nous avons désormais les moyens de défendre notre
territoire.
Est-ce que vous pensez que vous faites les frais de votre
rapprochement avec la Russie ?
Choguel Kokalla Maïga : Il y a pire que cela. J’ai
utilisé à l’ONU une phrase qui a fait mal : j’ai dit qu’on nous a «abandonnés
en plein vol». Qu’est-ce que cette phrase signifie ? Dans le Sahel,
il y a deux grands groupes terroristes : le JNIM et l’EIGS. Le territoire de prédilection
du JNIM est le Mali. L’EIGS évolue plutôt dans la zone des trois frontières.
Alors qu’un accord de défense lie le Mali à la France, le président français décide
un beau jour, parce que le Mali a fait des nominations qui ne lui plaisent pas,
d’arrêter les opérations militaires sans aviser le partenaire malien. à quoi
sert l’accord alors ? Nous avons compris le message. Mais quand vous
abandonnez les emprises territoriales qui vous sont confiées, pouvez-vous empêcher
les Maliens de chercher d’autres partenaires ? Non ! Non ! Nous
cherchons les moyens pour défendre notre peuple, nous voulons garder notre
autonomie de décision.
Le terrorisme diplomatique, médiatique et psychologique
exercé contre nous ne nous fera pas bouger d’un iota. Nous sommes dans des
relations de coopération avec l’état russe, comme avec d’autres états. Le plus
insolite, c’est que lorsque les rumeurs sur cette histoire de Wagner ont
commencé, la Cédéao a tenu un sommet pour prendre des décisions sur la base de
ces rumeurs véhiculées par la presse d’un autre pays !
Qu’est-ce que cela
lui coûtait de téléphoner au président de la Transition du Mali ou d’envoyer
des émissaires pour en savoir davantage ? En fait, ses décisions entraient
dans une stratégie de diabolisation du gouvernement de Transition du Mali. La
guerre psychologique et l’intimidation ne peuvent pas nous perturber. Je
remercie de façon particulière la Russie et la Chine, deux amis qui ont
toujours été aux côtés du Mali depuis le lendemain de son indépendance. Tous
les moyens que l’état malien a obtenus au moment de l’indépendance pour assurer
sa souveraineté, son indépendance économique, militaire, diplomatique, il les
avait acquis, entre autres, dans le cadre de la coopération chinoise et
russe.
Comment appréciez-vous les résultats des Assises nationales
de la Refondation ?
Choguel Kokalla Maïga : Une partie de la classe
politique était opposée à ces assises qu’elle a qualifiées d’assises de
Choguel, d’assises de la division. Ces assises sont en réalité parties des
revendications du peuple portées par le M5-RFP depuis juin 2020. En moins de
trente ans, le Mali a connu quatre coups d’état, sans compter les tentatives
qui n’ont pas abouti. Des réformes ont été reportées d’année en année. Depuis
le début de la crise, il a été décidé qu’il fallait des réformes politiques et
institutionnelles. Il fallait, à cette fin, aller vers tous les Maliens.
C’est
ainsi que les assises ont été inscrites dans l’agenda du gouvernement de
Transition. Ces assises furent historiques et essentielles pour la
reconstruction de notre pays, la refondation de l’Etat, le redressement de la
nation malienne. À la différence des autres rencontres, elles ont rassemblé
tous les Maliens, même dans les lieux où sévit le terrorisme. L’autre caractéristique
des assises, c’est que nous nous sommes engagés à en rendre exécutoires les résolutions.
Le chef de l’état va mettre en place un Comité de suivi afin que les résolutions
des assises deviennent la balise à partir de laquelle le gouvernement de
Transition travaillera et nous espérons que les futurs gouvernements suivront
la même ligne, parce que tous les problèmes de la nation ont été diagnostiqués
par les assises, qui ont proposé aussi solutions concrètes.
Et la part du gouvernement de transition dans tout
cela ?
Choguel Kokalla Maïga : Pour nous, il y a cinq revendications du peuple à régler : la restauration de la sécurité, la lutte contre la corruption et l’impunité, l’organisation d’élections transparentes, la réalisation de réformes politiques et institutionnelles et la mise en œuvre intelligente de l’Accord pour la paix et la réconciliation, de manière à exclure toute possibilité de partition du Mali à moyen ou long terme. Le délai de Transition que nous avons demandé à la Cédéao est nécessaire pour implémenter les réformes voulues par le peuple. Elle pouvait nous envoyer des experts pour en discuter, mais elle a préféré organiser un sommet pour assommer, humilier le peuple malien, donner une leçon à tous ceux qui voudraient contester une certaine norme, punir les dirigeants maliens !
À quoi ressemblera le Comité de suivi des résultats des
assises et pour quoi faire exactement ?
Choguel Kokalla Maïga : Je ne voudrais pas anticiper
sur cette question qui relève du président de la Transition.
Pour rapprocher le Mali et la Cedeao, l’Algérie offre sa médiation:
y êtes-vous ouvert ?
Choguel Kokalla Maïga : La Cedeao nous aurait dit elle-même qu’elle envoyait des émissaires, nous n’aurions jamais fermé nos portes. D’ailleurs, quand notre première délégation est partie, le 30 décembre, à Accra, ce n’était pas pour négocier, c’
Rédaction Lessor
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